L’euro et la Grèce: la politique d’abord!


L’euro et la Grèce: la politique d’abord!

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La crise grecque est une affaire politique. C’est une affaire politique, tout d’abord, parce que l’Union européenne est une structure politique et sa monnaie unique, l’euro, tout autant. Ceux qui ont fait l’euro savaient pertinemment qu’arrimer à une seule devise plusieurs Etats, plusieurs économies très hétérogènes, plusieurs marchés – et codes – du travail et plusieurs systèmes fiscaux n’était pas tenable. Il aurait logiquement fallu commencer par l’Europe politique, c’est-à-dire un projet qui consiste à gommer toutes les différences entre États – fiscalités, droit du travail et j’en passe – pour créer un super-Etat européen avant d’envisager une monnaie supranationale unique. Mais ce n’était pas possible, politiquement. L’euro a donc été créé par des gens qui savaient que cette monnaie sans Etat causerait tôt ou tard une crise, et qu’à ce moment-là le seul remède – pensaient-ils – serait, vous l’avez deviné, une Europe politique!

L’intégration de la Grèce à la zone euro était politique. L’histoire est aujourd’hui connue. À la fin des années 1990, nos dirigeants savaient que, du point de vue économique, la Grèce n’avait rien à y faire, mais ils faisaient de la politique. Jeu de dupes entre Français et Allemands, Paris essayant d’arrimer les wagons de l’Europe du sud à la locomotive de Berlin pour mieux brimer et contrôler ce dernier. À Berlin, on avait tout compris, mais on se disait qu’« ils allaient voir ce qu’ils allaient voir ». Pour Athènes, c’était aussi de la politique. Sans effort réel, pensaient les dirigeants grecs, la Grèce continuerait de bénéficier, directement et indirectement, de la manne européenne. Cela devait coordonner le projet stratégique de la stabilisation définitive de la Grèce entamé avec son intégration à l’Europe quelques années après la chute des Colonels. Et surtout à l’époque tout le monde ou presque partageait alors la vision stratégique de Chirac : si ça pète, on se débrouillera ! Et puis, ça a pété.

Certains des bénéficiaires de ces politiques, c’est-à-dire les citoyens grecs, se sont trouvés acculés. Du coup, pour la première fois ils ont commencé à parler économie. Austérité ou keynésianisme, taux d’échange et sauvetage du système bancaire. Alors que c’est politique ! La dette est une arme politique pointée contre la tempe de la Grèce. C’est sous la menace mortelle d’une banqueroute que la démocratie grecque a commencé à faire de la politique : revoir ses priorités, s’attaquer au cadastre, à la fiscalité, à la corruption, au clientélisme… Parfois, on aurait juré que les gouvernements grecs demandaient eux-mêmes aux « institutions » de tenir bon la barre des réformes pour mieux se tourner ensuite vers leurs citoyens et clamer que « Non ! Ce n’est plus possible ! » Si l’ardoise est effacée avant que la Grèce ne se remette sur les rails – suivant les modalités qu’elle aura choisies – elle ne sortira pas de l’ornière. Chacun demandera sa part du gâteau et tout recommencera.    

Et la souffrance du peuple grec ? C’est une excellente question, même quand elle vient de ceux qui ont un petit faible pour Robespierre ou Staline. Il faut reconnaître cette souffrance et faire ce qui est possible pour l’atténuer. L’état des services de santés grecs est une honte pour l’Europe et une tache indélébile sur son histoire. Mais il faut aussi comprendre que, puisqu’il s’agit de politique, les choses sont souvent présentées de façon légèrement biaisée. Ainsi, la fermeture de la télé grecque, il y a deux ans, a été présentée comme une question de liberté d’expression et de lutte pour un service public de qualité. En réalité, il s’agissait d’un mammouth de 2700 salariés que beaucoup souhaitaient depuis longtemps reformer et rationaliser, chose impossible avant que la crise et la dette ne donnent au gouvernement la force de dire stop. Quant à la question des retraites, nous avons évidemment vu ce que l’actuel gouvernement grec souhaitait nous montrer. Il fallait s’y pencher plus en détail pour découvrir que la retraite anticipée à 55 ans est devenue une magouille permettant de diminuer le nombre de fonctionnaires : on les fait passer du statut de salariés de l’Etat à celui de retraités de l’Etat. Quand les « institutions » posent des questions parce que cela fait exploser la facture, nos médias ne trouvent que des mamies de 90 ans dont la pension de retraite fait vivre toute une famille. Personne n’a le droit de s’interroger sur les choix politiques faits en amont par les grecs, en revanche tout le monde est prié de passer à la caisse.

La crise grecque est une histoire malheureuse et les responsabilités sont tellement nombreuses qu’il y en a pour tout le monde, nous compris. Mais puisqu’il s’agit d’une affaire éminemment politique, il faut comprendre que les Grecs ont aujourd’hui besoin de cette dette pour se mettre en mouvement – dans la direction qu’ils choisiront démocratiquement. La démocratie grecque a été tellement affaiblie par des intérêts particuliers que seule la dette lui permet de rétablir un rapport de force avec ces derniers et mettre en avant l’intérêt général. C’est aussi ça, la politique.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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