Dimanche, le peuple grec devra décider de son avenir. Par référendum, il va avoir la chance de choisir à quelle sauce il sera sauvé. L’ensemble des hommes politiques et des journalistes sérieux font semblant de croire que tout va changer. Dans tous les cas, les Grecs savent qu’ils sont face à un mur. Le pays s’étant enfoncé dans la crise depuis cinq ans, pour reconstruire, toutes les forces vives du pays seront nécessaires.
Le problème est que la Grèce se vide de ses talents. Le New York Times du 1er juillet nous informe que 300 000 grecs ont quitté le pays depuis 2010, soit 3% de la population, mais aussi 10% de ceux ayant suivi des études supérieures. Des médecins, des ingénieurs, des intellectuels s’en vont, en quête d’un climat économique plus clément.
En Grèce, le taux de chômage des jeunes est de 50%, et le salaire minimum de 683 euros. En comparaison l’Allemagne, notamment, avec ses 93% de jeunes disposant d’un emploi, fait figure d’eldorado. Certains, apeurés par l’atmosphère de fin du monde qui règne au terme de ces cinq années de crise, considèrent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de s’en aller. Spyridon Kotsaris, un chirurgien orthopédique d’Athènes cité par le New York Times projette donc de partir en Allemagne ou en Suisse : « Je ne me sens pas en sécurité ici, ni confiant en l’avenir de ma famille. Nous voulons une vie meilleure : être en sécurité et ensemble ».
Comme M. Kotsaris, 3500 des 5000 médecins ayant quitté le pays depuis 2010 ont choisi l’Allemagne. À tel point que la Grèce est devenue le premier pourvoyeur de médecins pour nos voisins d’outre-Rhin. Face à cette situation, le gouvernement grec ne peut que constater son impuissance. Natassa Romanou, représentante de Syriza et enseignante à l’université américaine de Columbia, commente cette situation sur le site Express.be : « L’ironie ne nous quitte pas. Alors que l’Allemagne contrarie les négociations pour le plan de sauvetage grec, d’une certaine manière, elle profite des bénéfices du capital humain qui est en train de fuir le pays ».
Les coûts de cette émigration expliquent cette amertume. 60% des émigrés disposent d’un master et emportent donc les capacités nécessaires au développement d’un pays. L’éducation supérieure étant partiellement gratuite en Grèce, ces exils représentent des investissements perdus pour le pays. De plus, c’est aussi l’excellence du pays qui est en danger : la pénurie de cadres grève la qualité des services et des instances publiques.
L’Australie accueille aussi un grand nombre de Grecs. Ces dernières années, Melbourne est devenue la ville qui compte la plus large population grecque après Athènes. Les émigrés se déplacent en fonction de leurs liens personnels à l’étranger et certaines villes voient naître un début de diaspora grecque. Dans un article du Brisbane Times, Antony Kondoleon, un photographe grec de 29 ans vivant à Brisbane, raconte qu’il a choisi l’Australie pour sa mère, elle-même australienne, et ses nombreux amis ayant déjà rejoint le pays.
Ceux qui abandonnent le pays ressentent cependant une certaine culpabilité. Dans le New-York Times, Alexios Theodorou, un chirurgien grec travaillant en Allemagne, déclare : « Nous, les personnes qui partons, ne sommes pas à blâmer pour la situation mais nous sentons parfois coupables de laisser les autres régler les problèmes ». Certains tentent cependant d’aider leur pays avec l’argent qu’ils gagnent une fois parti. Ainsi, l’Union des étudiants grecs en Australie a réuni plusieurs milliers de dollars. Ce n’est peut-être pas grand-chose mais cela nourrit l’espoir que l’émigration puisse aussi servir à la Grèce.
La présence de nombreux Grecs en Allemagne, en France, en Australie changera l’image du pays et de sa population. D’autant plus que ce sont les meilleurs éléments qui sont partis briller dans les grands pays post-industrialisés.
Dans le passé, d’autres pays en crise ont connu de longues périodes d’émigration et ont su en faire leur force. L’Irlande, pays d’émigration jusqu’aux années 1950, a aujourd’hui 100 millions de ses petits-enfants qui défendent son image et sa culture à travers le monde. C’est cette émigration qui avait permis au pays de survivre pendant les périodes de crise grave au XXe siècle et de se relever dans les années 60. Le gouvernement irlandais n’avait d’ailleurs pas fait grand-chose pour empêcher cette émigration. Mieux vaut laisser partir les gens critiques envers le pouvoir plutôt que de laisser s’accumuler les frustrations. Enfin, ces départs avaient désencombré le marché du travail en laissant des postes vacants (même si un émigré est aussi un potentiel créateur d’emploi).
D’ailleurs, malgré tous ces fuyards, certains ont choisi de rester et de se faire leur place au soleil athénien. Christopher Asche, un journaliste allemand qui se promène en Grèce, raconte au Huffington Post, l’histoire d’une athénienne trentenaire ayant monté une troupe de théâtre. Dans un secteur connu pour être fermé, elle et ses amis ont réussi à dégager des profits dès leur première pièce. Ce n’est pas grand-chose mais c’est toujours ça de pris.
Car, quoi qu’il arrive dimanche, la Grèce ne va pas se relever du jour au lendemain. Ni s’écrouler d’ailleurs. Dans cette situation mieux vaut dire, sans rancune, au revoir à ceux qui ne se sentent pas la force (ou la folie) nécessaire pour redresser le pays.
*Photo : Mr Tindc.
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