Grèce : un goût de cendres


Grèce : un goût de cendres

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Que la Grèce se soit soumise ou non n’est plus tellement la question.

La question est de savoir combien de simples citoyens européens se seront aperçus depuis quelques jours, malgré le flot de propagande et de falsification du réel, que nous ne vivons pas, ou plus, dans une démocratie.

Qu’une structure supranationale non élue décide désormais de notre avenir dans ses moindres aspects, même les plus anodins.

Que cette politique peut, à l’occasion, être menée avec une brutalité incroyable même si la plupart du temps, elle est cachée.

Que cette politique est menée dans l’intérêt exclusif de quelques grands groupes capitalistes de plus en plus concentrés.

Et que ce que je viens d’écrire n’est pas, hélas, le fruit de la paranoïa ou le canevas d’un roman dystopique.

Non, que c’est notre réalité, ici et maintenant.

C’est le nombre de ces citoyens, donc, ayant pris conscience de cette aberration, qui dessinera les contours de notre avenir.

À gauche, on a finalement l’habitude de ces défaites. Celle-là nous concerne tous en Europe puisque Tsipras semble avoir échoué, au moins pour l’instant, à réorienter ce monstre froid dans un sens plus social. C’était notre différence fondamentale avec les souverainistes et encore plus avec les extrêmes droites, même si des éditorialistes complaisants et même un ministre de l’Economie français trouvaient pratiques (et c’est assez vil, comme tout ce qui est pratique) de nous confondre avec eux (Tsipras et le FN, c’est la même chose, n’est-ce pas ?)  dans l’appellation vague mais définitivement disqualifiante de rouges-bruns.

À droite, chez mes amis souverainistes qui y ont cru, la ligne de crête est encore plus compliquée à emprunter sans risquer d’être confondus avec des nationalistes xénophobes. Ce sera encore plus saumâtre, parce que tout cela confirme leurs analyses sur le caractère intrinsèquement monstrueux de ce Machin, de ce Blob qui a inscrit un certain type de politique dans le marbre de ses constitutions cachées, comme en son temps l’URSS.

Et plutôt que de trouver des analogies historiques parfois douteuses entre Tsipras et les bolchéviques, pourquoi ne pas en remarquer une autre, plus juste et plus frappante : cette nuit, on a fait rentrer un « pays frère » dans l’ordre libéral comme on avait fait rentrer – à Budapest, à Prague ou à Varsovie – d’autres frères dans l’orthodoxie soviétique.

Il y a du Dubcek chez Tsipras finalement. Il a cru qu’on pouvait réformer la Bête, lui donner un visage humain. On ne lui a pas répondu par des chars, mais c’est tout comme. En fait, c’est la même chose en plus hypocrite : il y avait un choix à faire entre souffrir beaucoup et souffrir de manière insoutenable.

Avec ces caisses absolument vides, ces guichets à sec, la crise humanitaire encore lancinante menaçait de devenir tellement dure que les représentants des créanciers proposaient d’eux-mêmes, dans leur infinie générosité, une aide humanitaire en cas de « mise en congé de l’Euro ». Un peu comme pour les tremblements de terre, les catastrophes naturelles, vous voyez…

Mais enfin, sauf erreur de ma part, ce qui est arrivé à la Grèce, ce qui arrive en général à tous les pays confrontés à une crise financière, ce n’est pas « naturel », ce n’est pas comme si on n’y pouvait rien ! Il y a bien des hommes derrière les décisions de baisser les salaires, de démanteler les services publics, de prêter ou de ne pas prêter de l’argent, et à quel taux. Et pourtant, il faudrait, Grec ou pas, accepter cela comme la colère de dieux lointains.

Que mes amis des deux rives qui se sentent amers ce matin sachent donc qu’ils souffriront toujours moins que le citoyen grec, qui devra faire semblant d’être heureux d’avoir échappé au Grexit avec pour horizon indépassable l’austérité. Mais puisque d’après l’humoriste Wolfgang Schaüble, un Grec ou un Portoricain c’est la même chose…

Alors, heureux citoyens des démocraties de l’Union européenne, dormez sur vos deux oreilles, l’ordre règne à Athènes.

Pour le reste, comme le disaient les célèbres présentateurs d’une émission américaine au temps du maccarthysme qui ne savaient pas s’ils seraient encore à l’antenne le lendemain : « Good night… and good luck ! »

*Photo: Pixabay.



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