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Elizabeth II, l’indétrônable

Elizabeth II: 1926-2022


Elizabeth II, l’indétrônable
La reine Elizabeth II visite l'installation d'art "Blood Swept Lands and Seas of Red", dans le centre de Londres, 16 octobre 2014 © CHRIS JACKSON / POOL / AFP

Buckingham Palace a annoncé ce soir que la reine Elisabeth II était décédée, dans son château de Balmoral, cet après-midi. Le jubilé de platine de la reine d’Angleterre avait été un évènement médiatique planétaire. Si à 96 ans Elizabeth II suscitait toujours tant d’enthousiasme, c’est parce que ses qualités personnelles étaient en phase avec sa charge de monarque. Et de son trône, elle perpétuait des traditions immémoriales.


C’est une petite dame âgée, les cheveux blancs impeccablement bouclés, vêtue d’un manteau et d’une robe assortis, du même bleu pigeon clair et doux. Assise sur une banquette devant une fenêtre, elle se penche un peu en avant, les épaules légèrement voûtées, comme si, à la fragilité naturelle de ses 96 années, elle opposait une vitalité discrète. La même énergie se retrouve dans son sourire qui, sans être radieux, exprime une bienveillance aussi sincère que mesurée.

Le portrait officiel de Sa Majesté pour son jubilé de platine est le plus récent d’une longue série qui a été inaugurée par une photographie prise peu après sa naissance en 1926. Les traits de la Reine, sous une forme idéalisée, se propagent depuis 1952, année de son accession au trône, sur les pièces de monnaie, les billets de banque et les timbres-poste où ils incarnent l’autorité et la fiabilité d’un État dont elle est le chef nominal et le garant emblématique. Le contraste entre les portraits de la personne et ces effigies intemporalisées fournit la meilleure illustration des deux corps du roi, notion brillamment analysée dans le célèbre livre d’Ernst Kantorowicz de 1957. D’un côté, le corps humain, mortel ; de l’autre, le corps politique que le premier matérialise, autrement dit, le royaume pérenne, avec ses sujets et ses institutions, qui doit survivre à la mort de tel ou tel souverain. Lors des célébrations de ce jubilé, on a souvent entendu des gens dire d’Elizabeth II : « Elle est formidable ! » Mais en quoi l’est-elle ? Si elle n’avait pas été Reine, elle aurait peut-être fait une excellente infirmière et aurait pu être décorée pour son dévouement par quelque autre monarque britannique. Ce qui la rend formidable, plus que son caractère en soi, c’est cette coïncidence parfaite, chez elle, entre les deux corps : entre la personne qu’elle est et la fonction qu’elle remplit. En cela, elle rejoint les grands monarques de l’histoire : le Français, Louis XIV (le seul à avoir régné plus longtemps qu’elle), l’Autrichien, Franz-Joseph, et sa propre aïeule, Victoria. Quel est le secret de cette alchimie si particulière entre la personnalité fidèle, stoïque et pourtant empathique de la Reine et notre besoin de voir le pouvoir s’incarner en un individu ? La réponse nécessite une plongée dans les profondeurs les plus archaïques de notre psyché collective, plongée en cinq tableaux.

1) Bébés

Quand elle monte sur le trône, à l’âge de 25 ans, elle est déjà mère de deux enfants. Elle aura encore deux garçons, à 33 et à 37 ans. Un grand nombre de femmes (comme celle ayant porté l’auteur de ces lignes) qui deviennent mère pendant ces années-là s’identifient à leur Reine. Cette association entre la personne d’Elizabeth II et la procréation est lourde de sens. Depuis toujours, les maisons royales sont obsédées par la lignée et la question vitale de savoir si la succession est assurée. Henry VIII a lancé la Réforme en Angleterre et épousé six femmes (il en a fait décapiter deux) dans sa recherche d’un héritier mâle. En effet, la continuité royale implique la continuité du royaume et, sur un plan symbolique, de ses sujets. Au-delà des questions de lignée, tout le rituel qui entoure


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Septembre 2022 - Causeur #104

Article extrait du Magazine Causeur




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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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