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Le grand débat, un coup d’Etat permanent

Pour être efficace, la démocratie participative doit être de tous les instants


Le grand débat, un coup d’Etat permanent
Le 28 février, le "grand débat national" a fait escale à Pessac (33). ©UGO AMEZ/SIPA / 00897210_000064

« Grand » et « vrai » débats proposés tour à tour par le gouvernement ou les gilets jaunes ne sont pas des solutions. Pour être efficace, la démocratie participative doit venir de la base et être de tous les instants.


Dans une interview donnée au Point, le mathématicien et député Cédric Villani vante les mérites du « grand débat » qui, selon lui, met en avant la démocratie participative ; il félicite le président Macron en ces termes : « Ce grand débat sans cadrage, c’est un petit coup de génie et il a eu le courage de se lancer physiquement dans l’affaire, chapeau. » Comment ne pas se féliciter du fait qu’un président qui avait commencé son mandat en affichant son ultra-jacobinisme et en souhaitant se débarrasser de tous les corps intermédiaires semble – face à la fronde des gilets jaunes – finalement décidé à écouter son bon peuple, plutôt qu’à continuer à faire cavalier seul.

Macron a repris les choses en main

Face à la somme de toutes les colères dont il a très bien vu que cela ne pouvait faire un programme, Emmanuel Macron a donc décidé, depuis le 15 janvier, de donner la parole à tous les Français. Il a même fait des efforts surhumains : sept heures passées au milieu de maires bercés par ses discours fleuves. Oui mais voilà, cette initiative va-t-elle permettre de générer un nouveau contrat entre la caste des politiques et les citoyens ou va-t-on simplement continuer de mimer une comédie de démocratie, comme on a l’habitude de le faire dans ce pays qui reste très mal classé par l’Index Droits Fondamentaux.

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Le coup de génie de Macron, si coup de génie il y a, est d’avoir su reprendre la main. Et alors que la rue semblait réclamer sa démission, d’avoir exigé de celle-ci qu’elle vienne sur un site internet labellisé par la République et d’avoir fait que plus de 900 000 Français se prêtent au jeu pour les sommer de répondre aux questions que « des politiques dont ils ne voulaient plus entendre parler » leur ont posées. Un peu, finalement, comme si un prestataire de service que vous aviez décidé de congédier par la porte, revenait à la charge par la fenêtre et calmait votre colère en mettant entre vos mains un questionnaire de satisfaction client et un stylo… Cette initiative de démocratie participative ne va donc que dans un sens : c’est l’État qui mène le débat. C’est lui qui a décidé des quatre grandes thématiques et qui a organisé les QCM pour y répondre. Comme l’a remarqué le docteur en philosophie belge Drieu Godefridi, ce questionnaire est parsemé de fausses questions : ainsi la numéro 13 demande aux participants « s’ils veulent financer la transition écologique » par « le budget général de l’État » ou par « des taxes spécifiques » ; une question qui n’a aucun sens, puisque cela revient à demander aux Français s’ils veulent financer cette transition par des taxes ou par des taxes. La sémiologue Elodie Mielczareck a montré combien la novlangue de ce débat avait in fine engendré un dialogue de sourds.

« Grand » débat contre « vrai » débat

Notons toutefois, et c’est louable, que l’État français – grand ami de la liberté d’expression – autorise les contributions libres. Mais alors on se demande : comment sera-t-il possible de faire une synthèse de toutes ces contributions et surtout, comment échapper à la « subjectivité étatique » ? Le régime en place donnera-t-il crédit aux propositions qui se trouvent à l’opposé de son mode de gouvernance si celles-ci sont plébiscitées en nombre ? Comment les données seront-elles compilées ? Les articles que nous avons trouvés à ce sujet restent très vagues. Certains invoquent le recours à l’intelligence artificielle, mais il semble que ce terme magique recouvre simplement le logiciel OCR qui permet de digitaliser les contributions manuscrites.

En parallèle du « grand débat », les gilets jaunes ont organisé le « vrai débat ». On salue l’initiative en se disant que celle-ci pourra servir de contrepouvoir, même si l’on s’interroge sur le fait que ce soit le même prestataire de service qui fournisse la plateforme… Et comment faire la synthèse entre le « grand » et le « vrai » ? Enfin, que ce soit la plateforme de l’État ou celle des gilets jaunes, aucune des deux ne jouit d’une neutralité nécessaire pour que cela marche. Que faire alors ?

Ubérisons le débat !

Que ce soit l’État ou les gilets jaunes qui posent les questions, la méthodologie (cette idée qu’il faille faire une synthèse) pour obtenir un programme semble vouée à l’échec. L’initiative qui consisterait a contrario à organiser une place de marché, totalement neutre (un simple outil) sur laquelle les internautes pourraient venir poser leurs revendications comme on pose une petite annonce, aurait sans doute beaucoup plus de chances d’atteindre son objectif. Pour cela, il faudrait ensuite que cette même plateforme fonctionne comme un média et un service. D’une part en valorisant chaque revendication et ensuite en l’adressant aux décideurs concernés.

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Quelle différence par rapport à la solution proposée par l’État ? Ce sont les citoyens qui répondent aux questions des décideurs politiques. Ce sont les décideurs qui s’adaptent aux revendications des citoyens. On repart donc d’une feuille blanche et l’écoute est véritable. Il n’y a pas non plus de moule dans lequel on voudrait couler toutes les opinions. Il s’agit d’une occasion fantastique d’uberiser le modèle politique français, jacobin et centralisateur, dans lequel tout passe par l’État. Cette solution permettrait en effet d’adresser les revendications à d’autres acteurs que le gouvernement ou les élus : les syndicats, les ONG, des class’actions, des associations (une question relative au salaire minimum, par exemple, pourrait être adressée aux syndicats plutôt qu’au chef de l’État). Bref, tout type de structures susceptibles de venir en aide à ceux qui en ont besoin et de répondre à leurs demandes. Les utilisateurs de la plateforme devraient pouvoir formuler des demandes particulières qui ne regarderaient qu’eux plutôt que de vouloir à tout prix imposer aux autres une loi, un mode de gouvernance, comme cela se passe dans les systèmes de vote où l’on ne prend en compte que la majorité.

Si un tel système pouvait se développer, alors les Français comprendraient vite qu’il existe d’autres solutions que le seul et unique recours à l’État. C’est l’ambition que se sont fixée l’application Stig ou le site Revendique.com. Il suffit d’essayer pour comprendre que la vraie démocratie participative ne peut pas naître d’une initiative d’en haut, mais qu’elle doit venir du terrain. Elle ne peut se limiter à une démarche ponctuelle en réponse à un « mouvement de foule », elle doit être une solution permanente.



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