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Grand Journal deviendra petit


Grand Journal deviendra petit

grand journal caunesLe « Grand Journal » va mal. Good news !

« Assieds-toi au bord de la rivière, tu verras passer le cadavre de tes ennemis. » Ce proverbe supposément africain est assurément applicable sur tous les continents. Le « Grand Journal » n’est pas encore un cadavre, mais il est bien cabossé.

Pourquoi l’émission-phare de Canal+ serait-elle le symbole de l’ennemi alors qu’elle colle si bien à notre époque ? Eh bien précisément pour cela, même si elle semble aujourd’hui menacée de perdre son statut de porte-parole autorisé de l’air du temps, en l’occurrence du conformisme médiatique paré des atours de la rebellitude.

Le « Grand Journal » a perdu 13% d’audience entre avril 2012 et avril 2013, pendant que les talk-shows de France 5 et de Direct 8 explosaient ! Personnellement, le premier indice de cette chute m’a été fourni par une attachée de presse qui s’occupait d’un de mes livres : « Bon, on a le choix entre le “Grand Journal” et Alexandra Sublet. Y’a pas photo, j’envoie paître Canal, hein ? » Moi, je ne connaissais même pas « C à vous », mais l’idée de me friter avec Jean-Michel Aphatie au « Grand Journal » me plaisait bien. J’ai dû m’incliner.

Côté Canal, cela a commencé à turbuler à l’étage du management : les séquences en clair sont le tiroir-caisse de la chaîne. Évidemment, c’est Michel Denisot, le patron de l’émission, qui a dégusté. Ce qui a nourri dans tout le PAF les discussions de cafétéria. Pour les uns, c’était la mort du « Grand Journal » car une émission, « c’est d’abord un visage ». D’autres se sont félicités du coup de balai, sur le thème « place aux jeunes », ignorant que Denisot, loin de prendre sa retraite, s’apprêtait à lancer avec tambours et trompettes publicitaires un Vanity Fair français assuré d’une grande prospérité grâce au prestige du titre chez les annonceurs et les régies.

Quant au chroniqueur littéraire, Augustin Trapenard, qui a dû se fader la difficile succession d’Ollivier Pourriol, auteur d’un succulent On/Off (NiL), il a soutenu la direction avec toute la puissance de son petit cerveau, en affirmant en substance que, désormais, la culture ne pouvait plus être diffusée que sous forme de « piqûres légères ». Avec de tels défenseurs, la culture n’a pas besoin de fossoyeurs.

Pensant que la crise du « Grand Journal » était la crise du politiquement correct, je me demandais quel concept les dirigeants de Canal allaient sortir de leur chapeau pour sauver l’émission. Je me trompais. Salué par presque toute la profession et les journalistes média comme un génie du PAF, le directeur général de Canal, Rodolphe Belmer, a choisi l’option vintage – autrement appelée « c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ». Pour succéder à Denisot, il a choisi Antoine de Caunes, un pionnier du « Grand Journal » : un peu court. En effet, si l’époque demande la fin de l’émission (sujet qui devra être traité au fond), comme elle a naguère exécuté le « Bébête Show » et bien d’autres, Antoine de Caunes aura du mal à la sauver, et ça ne fera pas pleurer dans les chaumières où l’on lit Causeur, en tout cas pas dans la mienne. [access capability= »lire_inedits »]Dans le cas inverse, je mangerai mon chapeau. Mais comme il est confectionné en fraises Tagada, je ne souffrirai pas trop.

L’Obs, au bazar des manifestes

Ce qu’il y a de bien dans la crise de la presse, c’est qu’elle stimule la créativité des éditeurs. Désolé, mais c’est encore Le Nouvel Observateur – après l’affaire Marcela Iacub, ici-même rapportée – que revient ce mois-ci la palme du foutage de gueule des lecteurs. Le 19 juin, veille de la parution de l’hebdomadaire qui, il y a quarante-deux ans, affichait en « une » le Manifeste des « 343 salopes » en faveur de l’avortement, le buzz commence dans les journaux radio : l’Obs s’apprête à publier un appel historique, signé par une dizaine de députés de droite et de gauche. Historique, assurément, à en juger par le titre : « Élus, abolissons nos privilèges ! » Une nouvelle Nuit du 4 août. C’est le moment, en effet, de tondre nos politiques, leurs retraites à double tiroir, leurs frais de mandats, leur réserve parlementaire opaque, etc.

Agacé d’avance par cette débauche de transparence, mais intrigué, on achète le journal, et là, on est scotché par le culot de l’éditeur. En fait de manifeste, les plumitifs se sont contentés de demander (par téléphone, imagine-t-on) à une dizaine de députés quelle réforme du Parlement ils jugeaient prioritaire. Traduction : « Dix propositions choc ». Aucun des députés ne savait que son interview constituerait la partie d’un tout présenté comme un manifeste. Aucun, a fortiori, ne connaissait l’identité de ses « co-signataires ». Toute la subtilité de l’opération, qui frisait la publicité mensongère, résidait dans la répartition prévisible des rôles : le journal annonçait en titre « Le coup de gueule de 10 députés » – qui était presque véridique –, laissant à la buzzosphère le soin de propager le terme « manifeste » – compte tenu de son caractère moutonnier, il suffisait d’un ou deux tweets pour que tout le monde suive. Il faut dire aussi que certains des députés victimes de cette opération de com’ ont trouvé l’idée fort judicieuse puisqu’on les a entendus défendre un appel qu’ils n’avaient pas signé.

Merci Mauroy !

On peut dire merci à Pierre Mauroy ! Le brave vétéran socialiste – dont tout le monde a oublié qu’il a quand même convaincu Mitterrand de prendre le tournant européiste et néolibéral de 1983, mais passons – a eu la vista de décéder au moment où se lançait une formidable campagne autour de la mort du jeune science-potard Clément Méric. Tout était en place : Méric était la victime d’un « printemps facho », perceptible à l’activisme de quelques groupes supposés être la face cachée du marinisme. Comme lors de l’incroyable affaire de Carpentras, où le Front national avait immédiatement été désigné comme le responsable des horreurs commises dans le cimetière juif de la ville, nombre d’éditocrates se tenaient prêts à dérouler l’habituelle rhétorique qui a propulsé le FN là où il est aujourd’hui : le langage de haine et de xénophobie constitue le terreau (qui lui ne ment pas) et entretient le climat propice au passage à l’acte des nazillons. Il y aurait donc une ligne continue allant de Marine Le Pen au skinhead bas du front et plein de bière qui chasse l’immigré ou l’antifa (au fait, quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi et quand a été supprimé le « f » de « faf » ?). Ce qui prouverait bien que le FN est « anti-républicain », et que l’UMP buissonisée prendrait le même chemin. Nous avons échappé à ce Carpentras-bis, de peu. La mort de Pierre Mauroy a raflé tout le gâteau télévisuel pendant trois jours, offrant au public ce que, sans doute, il adore : la nostalgie des années Mitterrand.[/access]

*Photo: Canal Plus

Eté 2013 #4

Article extrait du Magazine Causeur



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