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GPA-PMA: la fabrique des nouveaux orphelins

Vers la production légale d’enfants sans père


GPA-PMA: la fabrique des nouveaux orphelins
Max Liebermann, Le jardin d'enfants d'Amsterdam, 1880. Wikipedia.

Depuis Le feu de Barbusse, la liste est longue des romans de guerre, tout comme la litanie de pierre des morts pour la France sur les places de nos villages : un million et demi pour la Première guerre, trois millions de blessés, 600 000 veuves de poilus, 986 000 orphelins. Deuxième guerre : 50 à 70 millions de morts. Au lendemain de la Grande guerre, une association est créée de prévoyance pour les orphelins qui deviendra : « Groupement Militaire de Prévoyance de l’Armée » : la GMPA. Troublantes initiales.

Enfants sans père

Dans Les Champs d’honneur, qui évoque l’histoire d’une famille pendant la Grande Guerre, Jean Rouault décrit une scène émouvante : le père, lors d’une permission, découvre son fils, né pendant son absence. Le soldat caresse les petits poings de l’enfant. Le monde autour des deux époux  se profile dans une étrange distance. Le père repart au front où il meurt, laissant, derrière lui, un orphelin. Les Champs d’Honneur ont obtenu le prix Goncourt en 1990.

2018. Cent ans après. L’impensable se dessine : la production légale d’enfants sans père. Depuis que les Etats Généraux de la bioéthique se sont ouverts, la ligne de démarcation, dite ligne rouge, a bougé. Contournant la PMA, elle passe par la GPA et s’oriente, sans trop de risques, vers l’intelligence artificielle et la fin de vie. L’opposition à la GPA se porte bien depuis quelque temps : trop de ventres indiens sont devenus gênants à voir. D’ailleurs, on n’a pas à accepter la PMA, on « l’ouvre » aux femmes lesbiennes. Que nous sommes généreux…

La GPA nie l’enfant

Une tribune du Figaro signée par 160 personnalités médecins, psychologues ou psychanalystes reconnaît que « l’enfant est un sujet avant même de voir le jour » dont la GPA nie le statut. Un sujet singulier qui « dès le moment où il est assez développé dans le ventre de sa mère est en mesure de nouer des relations avec son entourage ». Deux questions se posent. La première : à quoi sert cette pétition si la PMA est avalisée ? Au regard du droit matrimonial, en effet, et de la sacro-sainte égalité entre hommes et femmes au sein du mariage ( pour le coup,  Marlène Schiappa pourra en faire son étendard), comment sera-t-il, juridiquement, possible, d’empêcher la GPA ? Seconde question : pourquoi la GPA attenterait-elle au statut de sujet de l’enfant et pas la PMA ? En quoi la PMA n’est-elle pas « un trauma » au même titre que la GPA ? Trauma d’être né « comme ça » de sperme inconnu : question de point de vue. En tout cas, la PMA semble mise de côté. Eh bien, les carottes sont loin d’être cuites.

Le traumatisme de l’orphelin

On est orphelin de père ou de mère. Ou des deux à la fois. Les causes de l’orphelinat sont  répertoriées : elles sont dues à la  nature (quand votre mère—cas rare, de nos jours– perd la vie en vous la donnant ou quand votre père meurt), aux guerres et à ses nouvelles formes ( terrorisme), à l’abandon (vous naissez sous X). Quoi qu’il en soit, être orphelin est toujours un traumatisme. « Une singularité : fils d’orphelin » dit l’historien Ivan Jablonka. Un cas d’orphelinat dû au nazisme est particulièrement émouvant. Un Juif qui ne sait ce qu’est devenue sa mère, victime, par exemple, de la rafle du Vel’ d’Hiv quand il était tout enfant, croit, pendant longtemps, et même toute sa vie, la  voir et la reconnaître, de manière obsessionnelle, dans un bus, un square, un lieu public. Certes, on peut dire, au rebours, que la situation d’orphelin est « un tremplin d’une immense énergie compensatoire.» Voilà pourquoi «  les orphelins règnent sur le monde. » Baudelaire, Sartre, Gavroche, Cosette, Fantine, Jean Genêt, Rousseau, Marylin Monroe : les exemples ne manquent pas.

« Droits sexuels et reproductifs »

Petit-fils de juifs disparus sans laisser de traces, l’historien Ivan Jablonka, connu pour un essai passionnant consacré à Genêt, s’intéresse depuis longtemps, et de près, à la condition faite à l’enfant dans la société. Citons quelques titres de ses nombreux livres. En 2006 : Ni père ni mère. Histoire des enfants de l’Assistance Publique. En 2007 : Enfant en exil : transfert de pupilles réunionnais en métropole. En 2012, Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus et qui  remporte le grand prix du Sénat. En 2014, c’est L’Enfant-Shoah. Ivan Jablonka dit : « Etre un enfant d’orphelin a été plus déterminant qu’être un petit-fils de déportés. »  Sensible  également au sort tragique de certaines femmes dû à l’engrenage de notre société, Ivan Jablonka  a écrit, en 2016, un livre, Laëtitia, couronné par le prix Médicis, qui se trouve en bonne place, dit-on, sur le bureau ministériel de Madame Belloubet. De cette jeune femme violée et étranglée, l’écrivain n’a pas hésité à dire, comme Flaubert de Madame Bovary : « Laëtitia, c’est moi. » C’est encore lui qui témoigne : « Je suis un historien pour réparer le monde. » Avec les orphelins à naître, pourrait-il souhaiter matériau plus neuf pour des romans à venir ?  En attendant, le projet  « Orphelin G3 » est dans le viseur de la grosse Bertha 2018, avec « les droits sexuels et reproductifs » des femmes.

Ton père ?  Inconnu au bataillon

Qui est mon père ? Cette question taraudante, un futur orphelin sera en droit de la poser à chacun d’entre nous. Que lui répondrons-nous ?  Ton père ? Inconnu au bataillon. Curieux de ses origines, parce qu’il est un homme, ce garçon ou cette fille se dira qu’il est peut-être, ou sans doute, né de la prostitution d’un homme. Il pourra se dira aussi, sans inventer, que sa mère lui a donné son ventre mais pas forcément ses ovocytes. Des sociologues, des historiens  et des journalistes enquêteront et raconteront. Un nouveau Jean Genêt naîtra sans  aucun doute. Un Notre- Dame- des Fleurs, cru 2040, obtiendra le prix Goncourt. Et nous dirons en chœur, après le jury, qui aura couronné le livre, une coupe de champagne à la main : « Plus jamais ça ».

En 2017, l’Association Nationale des Pupilles de la Nation a fêté ses cent ans : la reconnaissance du statut unique des orphelins de guerre. Dans l’émission « Décryptages » à Radio-Notre-Dame, le 6 mars 2018, Madame Martine Segalen, éminente anthropologue, et membre du Corp (Collectif pour le respect de la personne) dont fait partie Sylviane Agacinski, et moi-même étions tombées d’accord sur ce point fondamental : il faut lever l’anonymat du donneur dans le cadre de la PMA. Et de la naissance sous X, soit dit en passant, laquelle concerne, il est vrai, très peu de femmes.)

 Tout enfant doit avoir accès à sa filiation

De plus en plus de pétitions la réclament d’ailleurs, cette levée de l’anonymat. Redisons plutôt la phrase suivante  comme un mantra : tout enfant doit avoir accès à sa filiation. Ou alors bannissons le mot « Egalité » de notre devise républicaine pour les enfants de notre silence, marqués en naissant, au sceau de l’injustice. Qu’une femme, qui aurait recours à une PMA, prenne plutôt ses responsabilités devant l’enfant ainsi fait : là est la liberté. Là est l’éthique véritable.

« Désormais un enfant peut naître d’une tierce personne dont il ne saura jamais l’identité. …une femme peut accoucher d’un enfant qui n’est pas le sien …un enfant peut avoir cinq parents.. » Ainsi écrivait, en 1986, dans L’irrésistible désir de naissance le professeur René Frydman. le père d’Amandine, qui revient, semble-t-il, fermement sur ses positions passées. Aux causes « classiques » de l’orphelinat que nous connaissons, faudra-t-il ajouter : « Orphelinat pour cause de droits reproductifs ? » S’il est un tabou à lever dans notre époque qui n’en connaît plus, c’est bien le tabou de celui qui vend son sperme pour satisfaire un désir. Le désir ne fait pas tout, fût-il irrésistible. Pas la loi, en tout cas. Et s’il n’a son mot à dire car il ne le peut pas, l’enfant a des droits et une dignité inaliénables. Nous sommes tous con—cernés.  Telle est l’éthique de la responsabilité (« in dubio pro malo ») qu’Hans Jonas a développée et qu’à sa suite le philosophe Paul Ricoeur a faite sienne. Et d’autres, philosophes et disciples, sans aucun doute, après lui.


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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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