Daoud Boughezala. Les assises pour l’abolition de la Gestation pour autrui (GPA) se sont réunies une première fois à Paris le 2 février 2016. En un peu plus d’un an, votre combat a-t-il évolué ?
Francesca Marinaro[1. Eurodéputée communiste de 1984 à 1989, Francesca Marinaro a été élue sénatrice du Parti démocrate en 2008. Engagée au sein de l’association féministe « Se non ora quando Libere », elle a organisé le 21 mars 2017 les deuxièmes assises pour l’abolition de la GPA à Rome.] Oui, depuis la réunion de Paris, nous avons progressé dans la bonne direction. D’une part, au cours de la discussion du rapport annuel sur la situation des droits de l’homme dans le monde, le Parlement européen s’est exprimé contre la GPA en votant des amendements sur le sujet. Une large majorité des députés européens a considéré cette pratique comme une atteinte aux droits des hommes et des femmes. D’autre part, les fortes pressions économiques exercées sur les Etats membres du Conseil de l’Europe pour leur faire légaliser le recours aux mères porteuses ont échoué.
N’agitez-vous pas un chiffon rouge alors qu’aucun des candidats à la présidentielle française n’entend légaliser la GPA ?
Cette première bataille gagnée par les signataires des assises de Paris ne signifie pas que nous avons gagné la guerre. Même dans les pays qui interdisent la GPA comme la France et l’Italie, les gens se rendent dans des Etats où elle est légale (Russie, Ukraine) et y ont recours en violation de leur législation nationale. Cette question doit être abordée par le Conseil de l’Europe dont une majorité de pays s’oppose à la GPA en vertu des principes communs à toutes les conventions de protection des droits de l’homme, de la femme et des enfants. Pour ne citer que la Convention de protection des droits de l’enfant, son paragraphe 7 attribue explicitement la maternité de l’enfant à la femme qui l’a porté et mis au monde et précise que cette filiation doit être reconnue dans tous les actes administratifs relatifs à la naissance. Or, nos juridictions saisies sur ces questions ont souvent tendance à oublier la mère porteuse au nom de « l’intérêt majeur de l’enfant ». Mais l’intérêt de l’enfant est de connaître sa mère ! Il faudrait reconnaître la dignité de la femme, sans laquelle on ne saurait reconnaître pleinement la dignité de l’enfant.
Pendant les débats sur le mariage et l’adoption « pour tous » en 2013, certaines associations homosexuelles ont fait valoir leur droit à l’enfant. Que pensez-vous de cet argument égalitariste ?
Cette problématique ne concerne pas seulement les homosexuels. La majorité des gens qui ont recours à la GPA sont hétérosexuels. D’une manière générale, le concept de droit subjectif est en train de dévier au point de changer de nature. Le droit ne doit pas répondre à un désir. Ici, le prétendu droit à l’enfant répond au désir d’enfant, ce qui est assez dangereux. Se concentrer sur le seul désir peut amener très loin, d’autant que c’est quelque chose de changeant et d’évolutif par nature qui ne saurait légitimer un prétendu droit à l’enfant. Aujourd’hui, on voit une production énorme de droits potentiellement très dangereuse pour le bien commun. Produire une telle quantité de législation sur les droits individuels s’avère préjudiciable à la liberté de chacun. Paradoxalement, l’inflation des droits limite la liberté ! La demande d’enfants ne concerne qu’une minorité d’individus et fait fi de l’intérêt commun. Pour mériter d’être reconnu, un droit doit tenir compte des autres. Aujourd’hui, le dévoiement individualiste du droit profite de l’évolution des nouvelles technologies pour mettre sur le marché la reproduction humaine. C’est un fait nouveau dans l’histoire. S’instaure ainsi une nouvelle division du travail s’instaure entre pays producteurs et pays consommateurs de mères porteuses.
Justement, la ténébreuse affaire Paradiso et Campanelli a défrayé la chronique politico-judiciaire en Italie, cette histoire d’un couple transalpin stérile qui a payé une agence de mères porteuses en Russie près de 50 000 euros. Si, en février 2011, leur enfant a été enregistré dans le registre d’état civil de Moscou, à leur retour en Italie, la justice les a poursuivis pour recours illégal à la GPA. Mais coup de théâtre : un test ADN établit que Campanelli n’est pas le père de l’enfant, l’agence russe ayant utilisé le sperme d’un autre donneur. Résultat : les services sociaux retirent au couple la garde de l’enfant et le font adopter par une autre famille italienne en 2013. Saisie, la Cour européenne des droits de l’homme a d’abord donné raison au couple Paradiso et Campanelli avant de se raviser en janvier 2017. Comment expliquez-vous ce revirement ?
Dans cette histoire, il y a eu une sorte de vol de l’enfant et un abus au niveau de ses documents d’état civil. C’est là-dessus que les cours italiennes puis la CEDH se sont prononcées. Cette violation de toutes les règles sur l’adoption a été soulignée par toutes les juridictions italiennes. Il existe un mouvement d’opinion transnational, de plus en plus organisé, contre la GPA. Par le passé, lorsque la CDEH condamnait la France pour son refus d’inscrire les enfants nés de GPA à l’étranger sur ses registres d’état civil, le juge européen ne prenait pas en compte tous les aspects de la question. Or, le problème de la GPA doit être soulevé sur deux plans : l’utilisation du corps de la femme et le droit de l’enfant à connaître la mère qui l’a mise au monde. Ce dernier enjeu apparaît encore de manière très floue dans les arrêts de la CEDH. Soumise à d’intenses pressions, celle-ci devrait approfondir sa réflexion sur les différentes implications de la GPA, qui ne remet pas seulement en cause la dignité de la femme et de l’enfant. C’est un véritable enjeu de vivre-ensemble entre hommes et femmes, qui se joue aussi entre Etats. Suivant l’adage, ma liberté s’arrête là où commence celle des autres !
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !