GPA : le cynisme des naïfs


GPA : le cynisme des naïfs

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Il faut le reconnaître : Gaspard Koenig a le mérite de la cohérence. Hier, il rendait un hommage paradoxal à Jean-Luc Mélenchon, pour son anticléricalisme sentant le formol, en blâmant la vision de l’homme portée par le Pape François. Aujourd’hui, il récidive, en argumentant, toujours dans L’Opinion, son soutien au nouvel esclavagisme connu sous le sigle de GPA. Tout cela, au nom d’un libéralisme décomplexé.

Notre homme est formel : « il est difficile d’être libéral et de s’opposer à la gestation pour autrui ». Sur ce point, nous sommes d’accord avec lui. La question, ici, est de savoir comment les libéraux qui marchent avec la manif pour tous parviendront à se rendre compte qu’ils défendent des valeurs non-marchandes, mais célèbrent en même temps ce qui les nient. Citons le boutefeux de Valeurs Actuelles Yves de Kerdrel, virulent contre le mariage gay, mais qui écrivait en 2008 au sujet du travail dominical : « Est-il normal que la liberté de travailler, donc de s’épanouir et de s’émanciper, se trouve ainsi entravée ? » En changeant le terme « travailler » par « se marier » ou « commander un enfant par GPA », on croirait lire un porte-parole de l’Inter-LGBT.

La contradiction est encore plus flagrante aux États-Unis : les républicains se sont tirés une balle dans le pied dans leur combat pour préserver le mariage « traditionnel », comme ils disent, en acceptant dans le même temps la PMA et la GPA, au nom de la liberté d’entreprendre. Tagg Romney, fils du célèbre Mitt, lequel hésite à se présenter une nouvelle fois en 2016 à la tête du Parti républicain, a eu des jumeaux par mère porteuse. Si l’on accepte le droit à l’enfant, alors l’opposition au mariage gay est vaine, et vouée à l’échec. Le conservatisme américain a perdu ce terrain-là par fidélité au libéralisme. Dieu se rit des hommes qui déplorent des conséquences dont ils chérissent les causes.

Que Gaspard Koenig soit donc logique avec son libéralisme. Mais sa cohérence le rend vite arrogant et aveugle, comme quiconque s’en remet à une idéologie. Selon lui, la marchandisation que constitue la GPA est acceptable, puisque les femmes disposent librement de leur corps. Dès lors qu’il y a consentement, les problèmes disparaissent, pour Gaspard Koenig. Notre penseur estime que toutes les transactions se valent, et n’a pas un mot pour les femmes qui louent leur ventre, par besoin d’argent, dans les usines à bébés d’Inde, d’Ukraine, de Géorgie et du Mexique. Leur « liberté » est entravée par la nécessité et une situation de faiblesse.

Notre penseur croit avoir réponse à tout : « Craint-on les dérives, l’exploitation, les trafics ? Ils seront, comme toujours, d’autant mieux combattus que la légalisation permettra la régulation et le contrôle. C’est tout le sens de la «GPA éthique» ». Le problème, c’est que notre ami ment, ou se contredit lui-même sans s’en rendre compte, ce qui n’est guère plus rassurant. Interrogé sur France Culture le 4 juillet 2014, il reconnaissait que la GPA soi-disant éthique, n’existait pas : « On voit au Canada en fait, il y a très très peu de cas, et le meilleur exemple c’est le Nevada, puisque c’est un des seuls des États-Unis où la GPA n’est permise que sur le modèle du don, et à ce moment-là, tout le monde va en Californie. »

Sans doute par pudeur, notre cher Gaspard n’évoque pas le cas britannique. Au royaume de Sa Majesté, la GPA est permise sans transaction financière… Mais la mère porteuse est officiellement indemnisée, au titre des efforts physiques représentés par la grossesse. Ce qui équivaut sensiblement à la même situation de la GPA américaine. Les indemnités sont d’ailleurs trop élevées au goût de certains couples, qui préfèrent aller en Thaïlande.

Empêtré dans son relativisme, Gaspard Koenig se fait législateur, et imagine une acceptation totale de la PMA et de la GPA : « Plutôt que de laisser maladroitement émerger une génération de bébés Thalys, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de cette logique, en créant non pas un obscur droit à l’enfant, mais un véritable droit à naître, qui s’appliquerait au futur enfant en tant que projet parental ? » Entériner ce qui existe, au seul titre que cela existe, c’est un peu court, pour un penseur. Par ailleurs, le « droit à naître » des bébés Thalys, nés de PMA à l’étranger, d’où leur nom poétique, n’en est pas un. Non qu’ils ne méritent pas de vivre, mais que leur naissance s’oppose justement au principe des droits de l’homme : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Les bébés Thalys ne sont pas égaux aux autres. Leurs embryons sont sélectionnés par le diagnostic préimplantatoire utilisé pour la PMA, qui ouvre la porte à l’eugénisme, en assurant aux parents une garantie de « qualité » du bébé. En France, ce diagnostic est strictement encadré, limité aux maladies graves. Mais au Royaume-Uni, le strabisme est considéré comme rédhibitoire. Aux États-Unis, on en est à sélectionner le sexe et la couleur des yeux de l’enfant. Avec le transhumanisme, un formidable chantier s’ouvre pour « améliorer » l’individu.

La société que Gaspard Koenig appelle de ses vœux, ce n’est rien de moins que la plongée dans l’état sauvage décrit ainsi par le polémiste Ernest Hello, dans son pamphlet Le Jour du Seigneur : « l’état sauvage consiste dans le développement arbitraire et injuste des fantaisies de l’individu ». Cette sauvagerie achève de consacrer l’avènement et la supériorité du plus fort sur le plus faible, et dans le cas de la GPA, du riche couple occidental sur la femme indienne exploité. Si Gaspard Koenig ne le voit pas déjà, alors il ne reste qu’à lui souhaiter de poursuivre sa logique libérale jusqu’au bout. Et de devenir cynique, par naïveté.

*Photo : Pixabay.



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