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Gouvernement : deuxième démarque


Gouvernement : deuxième démarque

Jamais on ne m’a refusé un seul article. Sauf une fois. J’avais fait un reportage sur l’industrie agro-alimentaire et ses rapports avec les militants de la cause animale. Comme le lobby agro-alimentaire veille scrupuleusement sur tout et que les amis des bêtes font le reste, mon rédacteur en chef me convoqua.

– Ton papier ne passera pas. Tu ne peux pas écrire noir sur blanc que « le yorkshire entre dans la composition des confiseries industrielles et qu’on y retrouve aussi du hamster ». Ce n’est pas crédible, Trudi.

Il caressa d’une main son tout nouveau chat persan, puis croqua dans une barre chocolatée, avant de conclure : « Et je tiens à souligner qu’il n’y a eu aucune pression. » Je n’en ai pas fait tout un fromage. Pour la bonne raison que je n’avais aucune preuve à l’époque que le beauceron et l’épagneul breton étaient des ingrédients prisés pour le camembert. Et je suis retournée à mon bureau écrire un énième papier sur un sujet dont je sais mes lecteurs allemands friands : « Hitler pétomane. »

La semaine dernière, pour la deuxième fois de ma carrière, je viens de me voir refuser un article. Il portait sur le remaniement du gouvernement français, celui auquel l’Elysée envisage de procéder après le 14 juillet. Je ne faisais que répéter ce que j’avais lu dans la presse française : Nicolas Sarkozy entendrait ajuster le tir en nommant cinq ou six nouveaux ministres et secrétaires d’Etat pour compléter le remaniement du 23 juin. Les noms de Frédéric Lefebvre, Maurice Leroy (qui est le père de Jérôme Leroy, c’est marqué dessus, ça ne peut pas tromper) ou Claude Allègre sont évoqués.

Pour expliquer à mes lecteurs allemands cette manœuvre un peu inédite où des ministres viennent s’ajouter à d’autres tous les quinze jours, je filai tout au long de mon article la métaphore des soldes : première démarque, deuxième démarque… Puis, emportée dans mon élan, j’en vins à poser la question qui tue : la hauteur du rabais consenti n’emporte-t-elle pas avec elle la qualité des biens soldés ?

Essayez de vous acheter une jupe soldée en deuxième démarque. Certes, le prix sera au rendez-vous et vous aurez encore le choix de la taille : soit 36, soit 72. Mais la coupe, on la croirait réalisée par une petite main parkinsonienne. Quant à la couleur de l’imprimé, même un daltonien ne serait pas assez débile pour en vouloir. Enfin, il faut relativiser. J’ai moi-même acheté en juillet 1982 un chemisier soldé trois fois rien rue de Rivoli : découpé en carrés, je n’ai jamais trouvé mieux pour faire mes vitres.

Dans la fringue comme en politique, je vous déconseille la deuxième démarque. La troisième, je ne vous en parle même pas.

On m’informe justement que Michel Rocard n’a pas rejoint le gouvernement, mais que ce serait tout comme. Il travaillerait – mais l’information mériterait d’être vraiment vérifiée – à un plan de relance… Vu la façon dont il a relancé l’économie française lorsqu’il était Premier ministre, ça devrait être grandiose : on ne peut pas se planter aussi magistralement deux fois.

Mon rédacteur en chef m’a donc refusé l’article. Contemplant d’un œil ému la Rolex qui rutilait neuve à son poignet, il m’a dit : « Non, Trudi, ce n’est pas crédible, cette affaire de remaniements à répétition. Et, crois-moi, je n’ai subi aucune pression. »



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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