Après l’annonce de la composition du gouvernement Barnier, les réactions immédiatement médisantes des uns et des autres nous ont offert ce que la politique française a de plus détestable.
Depuis que la composition du gouvernement de Michel Barnier a été annoncée, que de réactions attristantes, auxquelles le Premier ministre a répondu à sa manière le 20 septembre sur le journal de France 2 ! Il ne s’agit pas de supprimer la politique, selon le souhait bizarre exprimé il y a quelques jours par Éric Zemmour, comme si c’était possible et souhaitable, mais de tout faire pour lui donner une expression digne et équilibrée. Et ces derniers jours ont montré que notre démocratie est loin du compte !
Un gouvernement baroque, composé de ministres macronistes et de ministres de droite
Je ne prétends pas avoir éprouvé un enthousiasme sans mélange en prenant connaissance de la liste des ministres, des ministres délégués et des Secrétaires d’État. Même en mesurant les rapports de force parlementaires et l’influence persistante d’un président de la République pourtant directement responsable de la débâcle de ces derniers mois, je regrette pourtant la trop large place donnée aux macronistes de la première heure ou de fraîche date. Elle me fait craindre, dans la pratique, un amollissement de la droite et un chantage permanent du mou sur le nécessaire dans la conduite des affaires gouvernementales.
A lire aussi, Elisabeth Lévy: Gouvernement: la laïcité à la française perd une bataille de plus
Je continue à déplorer qu’un talent comme celui de Gérald Darmanin, qui a sauvé le régalien du naufrage, n’ait pas été mis à contribution dans un autre grand ministère, et que Philippe Juvin, sans doute trop libre et compétent, ait pâti de ces qualités alors qu’il aurait été remarquable à la Santé.
Ce gouvernement est quantitativement impressionnant, et je n’ai pas envie de me moquer de quelques dénominations originales qui renvoient au souci de libérer les missions générales des grands ministères de la charge de se pencher sur le quotidien préoccupant des Français. Par exemple, celle de la « Sécurité du quotidien ». Si elles sont concrétisées, elles constitueront des avancées. Il n’empêche que, cette déception relative formulée, je suis scandalisé par le mépris, la dérision, la condescendance dont ce gouvernement, avant même la moindre démonstration de ses capacités, a été l’objet. Ce n’est pas seulement la stigmatisation des nombreux inconnus qui a été choquante ; comme s’il fallait avoir échoué et être célèbre pour mériter les suffrages du peuple… Mais, plus globalement, la manière dont l’extrémisme de gauche comme de droite, une fraction mécontente d’Ensemble pour la République (EPR) et un certain nombre de médias, ont veillé d’emblée à faire perdre toute légitimité à cette nouvelle équipe. Partialité d’autant plus surprenante que, les yeux fixés sur les sondages, ils auraient dû être alertés et prendre conscience que les vertus dont on créditait le Premier ministre – constance, calme, modération, écoute et considération – étaient précisément celles dont manquait l’univers politique et qui avaient créé si rapidement cette embellie.
Retailleau concentre les critiques
Pour ne prendre qu’un exemple qui a suscité autant d’espérance que de critiques parfois ignominieuses, Bruno Retailleau – qui s’accordera, j’en suis sûr, avec le nouveau garde des Sceaux et dont même ses adversaires reconnaissent la fiabilité, la solidité et son heureuse aptitude à ne pas plier au gré du vent – est traité comme s’il avait été condamné pour racisme. Et je ne peux que déplorer que Manuel Bompard, si bien contredit par Sonia Mabrouk sur CNews, ait relayé cette absurdité. Comme si la joute politique autorisait n’importe quoi.
A lire aussi, Ivan Rioufol: Gouvernement Barnier: élections, piège à cons!
L’opprobre anticipé projeté sur le gouvernement de Michel Barnier m’apparaît d’autant plus injuste que je perçois mal qui, ou quel groupe, pourrait avoir l’arrogance de se déclarer, face à lui, irréprochable, exemplaire ou préférable. Du côté du Nouveau Front populaire, avec Lucie Castets Premier ministre imaginaire et l’invocation lassante d’une première place après le second tour des élections législatives sans la moindre chance d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale, on a été confronté trop longtemps à cette méthode redoutable de l’extrême gauche dominant la gauche, consistant à confondre le martèlement de la même idée fausse avec la justesse de la cause. On ne peut pas passer sous silence, malgré les oppositions internes au Parti socialiste, l’insupportable dérive de celui-ci vers une idéologie faisant perdre tout bon sens, au détriment de ce qu’exigerait la responsabilité d’un parti qui se veut de gouvernement. Et de la retenue et décence républicaines qu’on attendrait de l’ancien président de la République François Hollande. Comment ose-t-il sans barguigner s’aligner sur le pire de la politique ? Il se met à l’unisson de pratiques extrêmes comme déposer une motion de censure par principe. Aurait-il été inconcevable que le social-démocrate et député Hollande pèse ses mots et ses actes avant de s’engouffrer dans la caricature d’un affrontement parlementaire ? Au-delà du Parti socialiste, convient-il même de faire un sort à Marine Tondelier qui est inébranlable dans des positions qui plaisent à ses soutiens mais font douter de l’écologie qu’elle propose, des leçons de morale qu’elle assène et d’une vision républicaine qui préfère ses préjugés à la scandaleuse nouvelle que serait la réussite du camp adverse ? Certes, l’écologie dispose maintenant du vibrion François Ruffin qui est devenu courageux – mais discuté dans ses charges – à proportion de son éloignement d’avec Jean-Luc Mélenchon, qui ne lui fait même pas l’honneur d’une riposte. Il me semble qu’il y a en lui du feu follet et que parfois on peut se dire que le cinéaste talentueux fait de l’ombre au député fluctuant ! Dans le collectif de LFI, hier, il était bridé et trop taiseux. Aujourd’hui, est-il suffisant à lui seul pour enthousiasmer et convaincre au-delà de son cercle d’amis ?
Attal égaré ?
Du côté du macronisme, Gabriel Attal devrait se souvenir qu’il a été un grand ministre – trop bref – de l’Éducation nationale et qu’il a acquis une densité, peut-être une profondeur, à la suite de son affrontement avec le président de la République. Il préside le groupe parlementaire EPR et aspire à prendre la tête du parti. On ne le laissera pas faire à sa guise. Je crains que saisi par des ambitions multiples, il se perde dans des jeux partisans et oublie les promesses de l’homme d’État au profit du trublion impérieux qu’il paraît vouloir être maintenant. Ses dernières exigences adressées au Premier ministre – PMA, LGBT, IVG – me semblent plus relever d’obsessions ciblées que du souci de défendre ce qu’il y aurait de prétendument menacé dans les orientations du nouveau gouvernement. Le partisan va l’altérer quand le gouvernemental le sublimait.
Au regard de la tonalité des propos, des comportements et des critiques de ses adversaires, Michel Barnier doit-il se couvrir de cendres parce qu’il aurait contre lui et certains de ses ministres le pire de la politique ? Bien sûr que non. Dans aucun discours, dans aucune argumentation, je n’ai entendu une once de politesse républicaine, de sagesse démocratique. Pour la France, quoi qu’on pense de ce gouvernement, il faut souhaiter qu’il réussisse autant qu’on le peut dans ce monde dangereux, imprévisible et parfois illisible. Le président de la République a exprimé ce vœu en désirant qu’il soit partagé. Comme il croit pouvoir être le remède après avoir engendré le mal, je doute qu’il soit écouté. Mais est-ce trop demander à tous que de ne pas s’abandonner au pire de la politique ?