Philippe Bilger passe en revue la composition du gouvernement Attal.
Ce n’est pas tomber dans un pessimisme peu patriotique que de considérer que le nouveau gouvernement n’est pas la meilleure équipe de France possible. Il y a des raisons structurelles, tenant au clivage de notre univers politique et au poids des appartenances partisanes qui empêcheront toujours, quels que soient le président de la République et le Premier ministre, d’opérer un choix garantissant que les plus compétents seront choisis. Pourtant, à gauche, il y aurait des personnalités qui objectivement mériteraient d’être distinguées, et réciproquement si la droite était dans l’opposition.
Rima Abdul-Malak restera « libre », mais ailleurs !
Mais, à examiner la composition de ce gouvernement avec ce tout jeune Premier ministre dont j’attends beaucoup pour la France et sur lequel j’ai déjà trop parlé et écrit, je me sens contraint sinon de n’émettre que des critiques du moins de m’étonner pour certaines de ses options.
Avant, il me semble honnête, au regard de ce que je n’hésiterais pas à appeler mon immaturité politique, d’avouer ma satisfaction citoyenne devant telle ou telle exclusion ministérielle. Principalement celle de l’ancienne ministre de la Culture qui a été remplacée par Rachida Dati. Celle-ci substituera à une vision partisane, moins populaire que parisianiste, injuste dans ses dénonciations, une politique plus équilibrée qui n’oubliera pas la France des territoires. Quand on songe que nous aurions pu voir distinguée Claire Chazal, on mesure ce à quoi on a échappé ! Ce contentement admis, que de coups fourrés, d’incongruités, de ressentiments, de contradictions et de troubles connivences ! Que le président de la République ait répudié ce à quoi il s’était engagé en 2017 pour les mises en examen au sujet d’éventuels ministres, n’est que trop fréquent avec lui. Il se soucie comme d’une guigne des promesses qu’il a faites, de leur transgression et, plus globalement, de la moralité publique de ceux qu’il a décidé de sélectionner.
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La manière dont on cherche à faire croire à un resserrement et à une cohérence du gouvernement est surprenante. Un manque catastrophique : pas de ministre de plein exercice consacré au Logement, le problème social prioritaire. Catherine Vautrin qui sera une ministre de qualité est chargée d’un champ colossal. Stéphane Séjourné se retrouve au Quai d’Orsay, avec l’Europe en tête dans la dénomination de son ministère, sans que nous soyons assurés, derrière cette surprise, d’autre chose que d’une promotion opportuniste, avec Olivier Véran qui le remplacerait comme tête de liste pour les élections européennes, après que Bruno Le Maire a refusé ce cadeau empoisonné. Avoir confié à la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, en pleine préparation des Jeux olympiques, le redoutable ministère de l’Éducation nationale est une absurdité choquante. Quelle est sa compétence, sa légitimité, les garanties qu’elle donne pour la continuation des chantiers ouverts par Gabriel Attal ? Celui-ci risque d’emporter avec lui à Matignon nos espérances déçues sur ce plan capital. Je ne tiens pas pour rien le fait que Gabriel Attal ait désiré expressément nous rassurer sur l’avenir de ce ministère, ce qui confirme mon inquiétude.
Double ressentiment du président de la République. Il a fait sortir du gouvernement certains de ses « frondeurs » pourtant bien respectueux à l’occasion de la loi Immigration. Ils ont commis le crime de lèse-Macron ! Ainsi Clément Beaune qui a pourtant été un excellent ministre (quand il n’était pas obsédé par le Rassemblement national…), malgré sa contrition, est renvoyé. Et il était hors de question de pardonner aux Républicains l’humiliation qu’ils lui avaient fait subir lors des péripéties de cette même loi. Alors que le Premier ministre avait promis à Eric Ciotti de ne procéder à aucun débauchage individuel, il est manifeste que le président n’a pas voulu tenir l’engagement de Gabriel Attal : il a fait débaucher Rachida Dati (immédiatement exclue par Eric Ciotti), sous l’influence délétère de Nicolas Sarkozy inspiré par la double obsession de continuer à nuire à la droite qu’il a trahie et d’obtenir enfin quelque chose d’Emmanuel Macron.
De l’espoir et des doutes
Pour la sérénité de l’action gouvernementale et des délibérations en Conseil des ministres, si on n’avait pas d’autre choix que de maintenir les poids lourds ayant réussi – Darmanin, Le Maire et Lecornu -, j’imagine mal, sur la Justice, l’inconditionnalité de Rachida Dati à l’égard d’un Dupond-Moretti, même tardivement en progrès. Ou la soumission des ministres de l’Economie et de l’Intérieur à l’autorité de Gabriel Attal. Il y aura des vers dans le fruit.
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J’entends bien que la personnalité de Gabriel Attal rendra plus facile le dialogue avec LR à l’Assemblée nationale. Ceux-ci seront moins rétifs à pactiser avec un Premier ministre dont l’évolution le mène de plus en plus à droite : il s’est contenté avec lucidité de voir le réel et ce qu’il impose comme action. Mais la majorité sera toujours relative… Il est clair que ce gouvernement sera très éloigné de la meilleure équipe de France. Il s’est sans doute tendu des pièges à lui-même. Je n’aime pas cette impression désagréable que beaucoup a été concocté dans le dos des citoyens et que la France n’a qu’à se taire ! Qu’on ne nous abuse pas non plus : quelques ministres de droite au sein d’un univers macroniste ne garantiront pas forcément une politique générale de droite. À moins qu’un Attal, capable d’être indépendant, démente ma morosité et constitue le soliste brillant qu’il a été, en chef d’une équipe soudée, enfin claire, constante et donc efficace ?
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