Selon les dernières informations, il est plus que vraisemblable que Yoann Gourcuff ne joue pas ce soir contre le Mexique. Cette mise à l’écart dépasse largement le cadre du football. Elle est symptomatique d’une époque. Une sale époque.
Le joueur bordelais ne plaît pas à quelques-uns de ses partenaires. Pour savoir de qui il s’agit, il faut avoir vu les quatre précédents matches de la sélection française. Nicolas Anelka et Franck Ribéry ne lui donnent jamais le ballon. Lorsqu’on est meneur de jeu, le poste de Gourcuff, être privé de ballon par ses partenaires équivaut à disparaître de la circulation. Il devient quasi-inutile. Domenech, qui tient à la fois à faire jouer Anelka, Ribéry et Gourcuff, s’est montré persévérant – ou entêté, c’est selon. Mais, il a fini par craquer et sacrifier le troisième.
Pourquoi donc Yoann Gourcuff est-il mis à l’index par ses compagnons de jeu ? Eugène Saccomano penche pour la jalousie envers son côté beau gosse. Il est vrai qu’on connaît davantage de filles rêvant de se retrouver dans ses bras plutôt que dans ceux de Ribéry[1. D’ailleurs, si l’on était cruel, on ajouterait qu’il est même possible que certaines paieraient plutôt que se faire payer.]. Mais on a peine à penser que ce motif suffise à la mise au rencart de Gourcuff. Comme disent les technos, il doit s’agir d’une condition nécessaire mais pas suffisante.
Cherchons encore. D’autres invoquent le conflit ethnico-religieux. N’évitons pas la question. Je n’y crois pas. Ribéry est blanc, comme Gourcuff et, même s’il s’est converti à l’islam, tout comme Anelka, il semble bien que sa pratique ne soit pas très zélée.
Le bon élève mis à l’index
C’est donc ailleurs qu’il faut chercher. En discutant de l’affaire Anelka-Ribéry vs Gourcuff avec un collègue, celui-ci m’a dit ce matin qu’il avait entendu à la radio que Ribéry se conduisait avec le joueur bordelais comme un caïd de collège. Et je me suis rappelé un texte de Natacha Polony sur un élève d’un établissement parisien et qui était fort mal traité par ses camarades parce qu’il était doué, travailleur et bien élevé. Dans cette sélection-là, Yoann ressemble fort à Clément, l’élève présenté par Natacha. Pensez donc ! Il a tout pour être bien éduqué, ce gamin. Son père, professeur de mathématiques, entraîne le club de Lorient[2. Lequel possède la caractéristique d’offrir un jeu collectif d’une précision scientifique mais aussi l’un des plus agréables à regarder de notre championnat.] où les joueurs sont au service du collectif, et pas l’inverse. Didier Deschamps, qui s’y connaît, déclarait dernièrement que les joueurs passés entre les mains de Christian Gourcuff sont transformés. En fait, ils jouent intelligemment et savent conjuguer discipline collective et joie d’offrir du beau jeu.
Pas étonnant, dès lors, que le fiston, qui aurait pu faire autre chose que footballeur s’il avait été moins doué pour le ballon, passe pour un extra-terrestre aux yeux de Ribéry ou Anelka. Chez eux, c’est plutôt « tout pour ma gueule ». La bonne éducation, la mise à disposition d’un collectif, le sens du sacrifice[3. Rappelons que Ribéry exige de ne pas jouer sur le côté droit, ce qui soulagerait pourtant le sélectionneur.], voilà les caractéristiques d’un bouffon, comme disent les gamins de collège qu’évoque Polony dans le papier cité plus haut.
Deschamps, Blanc et Thuram avaient aussi un esprit sain
Le football n’échappe pas à l’évolution des mentalités, pour le meilleur et pour le pire. Rappelons nous qu’en 1998, Jacquet s’appuyait sur des cadres comme Deschamps, Blanc et Thuram, des personnalités qui ne brillaient pas seulement ballon au pied mais aussi par leur intelligence et même parfois leur culture. Les deux premiers sont devenus de très bons entraîneurs. Le troisième, qu’on soit en accord ou en désaccord avec lui, est une personnalité écoutée et avait même été nommé au Haut Conseil pour l’intégration par le Président Chirac. Michel Platini, porte-drapeau de la génération 84-86, brillait aussi par son intelligence. Depuis, il a démontré, en organisant la coupe du monde en France et en devenant Président de l’UEFA, qu’il n’était pas bon qu’à marquer des coups de pied de réparation.
La différence, c’est qu’à cette époque, on s’appuyait justement sur ce genre de personnalité, alors qu’aujourd’hui, on préfère les sacrifier. Alors, certes, on n’aura pas tort de me rétorquer que, même placé dans de bonnes conditions à Bordeaux, Yoann Gourcuff n’a guère fait de bons matches depuis cet hiver. Mais, d’une part, il est loin d’être le seul dans ce cas même parmi les titularisés. Et d’autre part, cela n’excuse en rien le comportement d’Anelka et Ribéry à son égard. On n’est pas étonné, du reste, qu’avec des meneurs de groupe pareils, cette sélection ait fait preuve d’une telle goujaterie dimanche dernier.
Il est possible que l’équipe de France batte le Mexique ce soir. Il est même possible que certains joueurs se mettent enfin à jouer parce qu’ils auront obtenu satisfaction, la mise à l’écart de ce gars trop bien élevé, ce bouffon. On dira alors que Domenech a bien fait de les écouter. Il gagne donc il a raison. Mais, qu’on nous permette de douter que ce calcul soit le meilleur dans l’optique de joutes qui seront plus difficiles, plus tard dans le tournoi.
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