Gotlib, juif, athée et libertaire


Gotlib, juif, athée et libertaire

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Le 14 juillet, Gotlib, ce roi de l’autodérision, du trait et du lettrage, fêtera ses 80 ans, et le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme lui rend hommage. Avec 150 planches originales jamais exposées, des archives photographiques, écrites et sonores, cette exposition répond à un souhait de l’artiste  à la suite de l’exposition « De Superman au Chat du rabbin, bande dessinée et mémoires juives » organisée par le Musée en 2007. Faut-il vraiment y voir un paradoxe de la part de ce Juif athée et libertaire qui reçut le Grand Prix de la Ville d’Angoulême en 1991?

Fils d’artisans, Marcel Gottlieb (son nom d’origine)  se plaît à en dessiner au travail ou pendant la pause. De même, quand il représente le dessinateur à son pupitre, les jeux de caméra dans un tournage ou la foire d’empoigne dans la salle de rédaction, c’est un métier qu’il montre, avec en plus un regard narquois sur les angoisses de la création.

Entré à 20 ans comme lettreur chez Opéra-Mundi/Edi-Monde, il acquiert une solide culture populaire dans laquelle Georges Brassens occupe une place à part aux côtés de Chaplin et des Marx Brothers, de Woody Allen et des Monty Python. Aujourd’hui encore, ce virtuose du dessin à la plume a la nostalgie de son amitié avec Goscinny, rédacteur en chef de Pilote avec lequel il a créé les Dingodossiers. Suivra en 1968 Rubrique-à-brac, une série de récits fantaisistes et décapants sur des sujets du quotidien. Quand il quitte Pilote, c’est pour créer L’Echo des savanes, puis Fluide Glacial ­– qu’il n’aurait pu créer, dit-il, « sans dix ans de psychanalyse ». Parmi ses personnages fétiches figurent Gai-Luron, le chien qui ne sourit jamais, Newton en perruque et jaquette, Superdupont et son béret, la coccinelle qui anime les coins de pages… Cinquante ans à croquer la vie des Français à la ville et à la campagne, car Gotlib adore la campagne et les animaux autant qu’il adore les gens.

Jeux de mots, clins d’œil, retournement de situation, détournement de symboles, parodies de films (et du tournage), pastiches de tableaux de maîtres, art de l’affiche, yiddishismes, Gotlib associe la franche rigolade de comptoir à l’humour anglo-saxon sans se départir de son accent parigot.

Car chez Gotlib, il y a le rire et le comique, le déconnage et l’humour, celui qui permet de surmonter le tragique de la vie, que cet enfant de Juifs hongrois, né à Paris, a découvert quand il avait huit ans. En effet, en septembre 1942, son père Ervin est arrêté par la police française, interné à Drancy et déporté. Il sera assassiné à Buchenwald un mois après la libération d’Auschwitz. Le tragique aussi est absurde.

L’humour chez Gotlib est grinçant, noir, anglais ou juif, au choix, et c’est une arme contre les coups du destin, contre l’angoisse et contre « les cons ». Mais Gotlib, juif athée et libertaire, est-ce vraiment un paradoxe ? Juif, il l’est dans tous ses moments de tendresse et par ces signaux inconscients qui parsèment son œuvre — pour ne pas dire par son art même de l’autodérision.

L’actuelle rétrospective de l’œuvre de Gotlib présente quelques moments d’émotion qui tranchent avec la vie désopilante de ses héros. Au premier plan, il y a la Chanson aigre-douce que chantonne le petit garçon blotti au fond de l’étable contre le flanc de la chèvre, tandis que tonne au loin l’orage : « Leblésemouti, Labiscouti, Ouleblésmou, Labiscou. »  Publié en 1969 dans Pilote, le récit se termine par ces mots : « En l’an de grâce 1977, ma fille aura à son tour 8 ans. J’espère qu’il n’y aura pas d’orage. Pour qu’elle puisse avoir, de son enfance, autre chose qu’une comptine, autre chose qu’un museau de chèvre, tiède et humide, dans le creux de la paume, au fond d’une étable obscure, comme souvenir à se mettre sous la dent… »

Athée certes, et les planches hilarantes du Gods’Club publiées, dès 1974, dans l’Echo des savanes, en témoignent hardiment. Elles rassemblent sur l’Olympe tous les dieux de la création, sous l’autorité de Jupiter. Et Gaston Jéhovah salue d’un « chalom » son fils Jésus, qui lui répond « chalom aussi », en présence d’Allah, placide, et de Bouddha « en plein nirvana » sur fond de musique rock. Oui, un Juif peut être athée sans cesser pour autant d’être juif. Et un dessinateur peut se moquer « des dieux » sans jamais verser dans l’apologie de la haine et du racisme — la preuve.

Et oui, Gotlib est libertaire, un inconditionnel de la liberté d’expression. Comme pour tous les gens de presse qui ont travaillé à l’époque où sévissait en France le fameux ministère de l’Information (supprimé en 1974 par Valéry Giscard d’Estaing), le poids de la censure est insupportable. En 1966, Gotlib prit position en faveur de La Religieuse, le roman de Diderot porté à l’écran par Jacques Rivette et dont Yvon Bourges, secrétaire d’Etat à l’information, avait interdit la distribution sous la pression des associations de parents d’élèves de l’enseignement privé (et de bonnes sœurs). En avril 1973, quand Pilote sort un numéro intitulé Hitler, le Führer qui fait fureur, Gotlib est révolté par la faiblesse de la charge : « On ne fait pas de l’esprit avec Hitler, on l’écrabouille. »

Mais depuis les années 1970, la liberté de tout dire semble apparaître comme un droit qui ne se reconnaît aucun devoir, aucune limite, et surtout aucune responsabilité. Preuve, encore une fois, qu’un humoriste peut faire rire sans alimenter la haine. Tout dépend du but recherché.

« Les Mondes de Gotlib », Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, jusqu’au 20 juillet.

*Photo : Christine Poutout.



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