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La revanche d’un homme timide

Goscinny, un monument national (1926-1977)


La revanche d’un homme timide
Inauguration d'une statue de René Goscinny, dans le 16e arrondissement de Paris, janvier 2020 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Vous avez jusqu’au 13 janvier pour (re)voir l’émission Rembob’INA consacrée à Goscinny sur le site de LCP Assemblée Nationale.


À tous ceux qui nous interdisent d’affirmer que « c’était mieux avant ! », je conseille de visionner le Rembob’INA dédié à René Goscinny (1926-1977) disponible sur le site Internet de La Chaîne Parlementaire depuis Noël dernier. Quel cadeau ! Quel miracle ! Quelle fantaisie à la fois pétillante d’intelligence et si friable d’émotions ! Tous les possédés de la modernité y prendront une potion d’humour, de légèreté nostalgique, de distance poétique, de divertissement élégant, en un mot, de talent à l’état brut. Quand le vrai talent frappe, nous sommes reconnaissants d’avoir été touchés par cette grâce-là. Nous disons simplement : merci pour Astérix, pour le Petit Nicolas, pour Oumpah-Pah, pour « Le Viager », pour « Les Gaspards », pour les Dingodossiers, pour avoir ensoleillé notre jeunesse sans avoir essayé de nous acheter. Votre exigence scénaristique Monsieur Goscinny était l’assurance d’une éducation qui refusait la démagogie et la mièvrerie. 

Cravate en toute circonstance

Trop souvent aujourd’hui, dans la confusion mentale qui règne à la télé et ailleurs, le talent est gonflé à l’hélium, il est survendu, chargé en matières grasses, honteusement surévalué. C’est une denrée bien commune. N’importe quel ânonneur prétentieux se prévaut du statut d’artiste qui le protège et nous oblige à ne pas le gifler. Créateurs médiocres et poseurs vindicatifs viennent perturber nos écrans pour nous vendre une chanson, un livre, un film avec la certitude d’être des génies. Leur impolitesse aurait quelque chose de comique si nos nerfs n’avaient pas été mis à rude épreuve par trente années de fausses gloires. Nous sommes fatigués par tant d’approximations et d’œuvres bâclées. N’entre pas qui veut dans le domaine des dieux de la création ! Goscinny était un véritable génie qui ressemblait à un directeur financier et s’exprimait dans un français académique. Ce bourgeois bon teint, timide et rieur, avait des manières de seigneur. Sa dissidence ne s’affichait pas dans des vêtements trop voyants ou une coupe à l’iroquoise (il portait le costume et la cravate en toutes circonstances), mais bien dans ses histoires folles et émouvantes, à la frontière du gag et des larmes, dans cet entresol que les déracinés possèdent en héritage. Les idées jaillissaient de son cerveau à la vitesse de la lumière. Ce n’est pas pour rien que le petit gaulois tempétueux fut envoyé en orbite sous la forme d’un satellite artificiel. Goscinny a inventé une langue et un rythme, un prisme enchanteur qui a conditionné notre émancipation. Il fut l’égal d’un Disney ou d’un Chaplin dans l’irradiation du merveilleux. 

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Remettez-nous ça sur le service public

Sans lui, la BD serait restée un art mineur réservé aux enfants. Franquin l’affirme : « Il a ouvert une porte ». Alors, passez une soirée en sa compagnie, ça ne se refuse pas. La qualité des programmes des années 1970 saute aux yeux, on savait être inventif et joueur, audacieux sans donner des leçons. Rembob’INA a exhumé des trouvailles, comme ces quatre mini-chroniques diffusées avant le journal d’actualités durant les vacances de Noël 1976 et 1977 sur une musique signée Gérard Calvi. Scènes de la vie quotidienne et délires domestiques, petits riens qui faisaient tout le sel de notre humanité joyeuse. Dans la chronique intitulée « Les déjeuners d’affaires », on revoit notamment, avec plaisir, Pierre Desproges et Jean-Claude Arnaud de la Comédie française se goberger avec indolence, s’empiffrant de cailles, les inondant abondamment d’un coulis tentateur. La présence de Jacques Monod à cette table est de nature à me ravir. Remettez-nous ça sur le service public ! Rembob’INA a également déniché une rareté datée de 1975.  « Tac au tac » de Jean Frapat est une partie de cadavre exquis qui oppose Uderzo et Goscinny face à la paire Greg & Dany. Cette joute dessinée impressionne par sa virtuosité et son esprit. 

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Le programme est aussi l’occasion de revenir sur l’amitié et la collaboration professionnelle avec Pierre Tchernia. Ils ont été les pionniers du film d’animation en France. Un portrait tourné par Antenne 2, à la fois dans l’appartement du maître et à son bureau de patron de Pilote, vient clore cette soirée. « Un auteur qui dirige un journal, ça n’existait pas […] je peux leur parler (à ses auteurs) d’égal à égal » avoue-t-il sans élever la voix. Après avoir vu cette série de reportages, nous pouvons tous affirmer en chœur que Goscinny est un monument national.      

Goscinny : la création dans tous ses états, sur LCP

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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