Qui n’a jamais reproché aux taxis leurs prix indécents ? Leur corporatisme ? Leurs chauffeurs capables d’égayer un banal trajet par leurs anecdotes, comme de racketter un étudiant fauché ? Les motifs d’ironie, voire de jouissance, devant le désarroi des taxis, pris de court devant la percée d’Uber, ne manquent pas, et la violence de certains chauffeurs n’arrange rien. Pourtant, le conflit mérite mieux que des sarcasmes de consommateurs. Il est le symptôme de la guerre menée par le libéralisme sans limites pour continuer de s’étendre.
D’abord, Uber ment, Uber est allemand. Ou plutôt californien. Uber n’est pas une initiative sympa de citoyens branchés et généreux. Simple plate-forme technologique avec application pour smartphones, UberPop vampirise sa commission sur des milliers de chômeurs devenus pseudo-chauffeurs. Ce n’est pas du covoiturage, mais du business hors-sol. Ce n’est pas de « l’économie partagée », mais une l’atomisation de l’activité productive. Ce n’est pas de la concurrence, c’est de la piraterie. Ces méthodes ont conduit Madrid, Delhi, La Haye et Portland, villes de notoires républiques communistes, à interdire les activités de la société. Même dans son fief de Californie, à Los Angeles, Uber se retrouve en procès pour pratiques déloyales.
Une autre réalité peu connue tarde à surgir : derrière Uber, il y a Google, qui a investi des fortunes dans l’entreprise, plus de 360 millions siège dès février 2013. Le géant du net siège dans son conseil d’administration, et a formé nombre de cadres d’Uber. Non content de s’être assuré, sans un coup de feu, un pouvoir sur les coeurs et les esprits dont aucune dictature n’aurait rêvé, Google cherche à s’imposer sur le marché mondial des conduites, via Uber, en détruisant tout autre concurrent, les taxis en priorité. L’étape suivante, après l’élimination de la concurrence et l’explosion (dites « flexibilité ») du marché, grâce à la percée des Uber, est de supplanter aux voitures avec chauffeur le « self-driving car », la voiture automatique. Outre Uber, qui a son programme de « self-driving car », Google et ses forges maléfiques de la Silicon Valley (dites « the Valley », on est entre nous) planchent jour et nuit sur leur propre robot.
Ce « Google Car » est appelé à se généraliser et à séduire le client-consommateur. Utopie, me direz-vous. Ce n’est pas l’avis d’Obi Felten, directrice du laboratoire Google X, de passage à Paris le 25 juin pour la conférence « Hello Tomorrow ». Devant un public d’entreprises geeks conquises, elle a prêché la bonne parole: « la technologie doit changer l’individu ». La prêtresse en appelle au bon sens: qui refuserait d’être reconduit chez soi après une soirée alcoolisée ? D’échapper aux affres du permis à points ? De permettre à un aveugle de conduire sa propre voiture ? Obi won the point: personne ne relève l’aliénation supplémentaire de l’homme vis-à-vis de la machine. « On ne peut pas empêcher le progrès ». Surtout pas des taxis archaïques, victimes d’une lutte qui les dépasse.
Alors, face à Uber, même si c’est pour conserver les taxis agrippés à leurs privilèges, je préférerai toujours chanter, comme Barbara dans Gare de Lyon, « taxi, emmenez-moi », plutôt que « Google, continue de me mener… »
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