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Gonzo, pas charlot !


Gonzo, pas charlot !

Hunter S. Thompson

Cinq ans après la mort d’Hunter S. Thompson, l’écrivain-journaliste américain, les éditions Tristram font reparaître, en deux volumes, certains de ses plus fameux gonzo-papers. Soit, pour ceux qui ne le sauraient pas encore, des reportages d’une férocité incroyable sur la campagne présidentielle américaine de 1972, le Super Bowl, la révolte des Indiens ou encore Jean- Claude Killy recyclé en VRP-VIP par General Motors. Un régal total.

Avant de lire ça, on avait surtout en tête la composition allumée de Johnny Depp dans le film de Terry Gilliam, Las Vegas Parano. D’après quoi, jeunes inconscients que nous sommes, on imaginait que le journalisme gonzo, c’était dire des gros mots dans les papiers, brutaliser tous les pouvoirs, ne pas s’embarrasser avec les connivences et le respect qui peut être dû aux sources. Bref une sorte de dynamitage permanent des sujets au prisme du pire mauvais esprit boosté par les meilleures pilules. Somme toute, un néo-journalisme grinçant, branché, un peu comme on en fait à Charonne, mais en plus destroy et stylé.[access capability= »lire_inedits »]

En lisant les deux tomes republiés, Dernier tango à Las Vegas et Parano dans le bunker, j’ai vite saisi quelle erreur grossière j’avais faite et que continuent à faire bon nombre de journaux français.

Le gonzo-journalisme, c’est d’abord un journalisme. Et le plus sérieux qui soit, à l’anglo-saxonne. Phrase de vieux con, qui mérite deux minutes d’explication : Hunter S. Thomson se drogue (beaucoup), boit (beaucoup), ne respecte pas l’ordre établi, fume dans les avions, gueule et même dégueule. OK.

Mais il travaille beaucoup et rend ses papiers à l’heure. Thompson est un journaliste politique génial, qui déteste Nixon mais, avant d’exploser le président en place, il passe un temps fou avec son état-major. Boit des coups avec l’entourage, le suit partout en campagne en passant des heures dans des bleds où de grands journalistes, eux, ne prennent pas la peine d’aller. Il peut se permettre de mépriser son sujet, de l’insulter à longueur d’articles, de traiter Nixon de dingue parce qu’il le connaît par coeur et sait qu’il est dingue. La mise en scène de sa propre personne dans les reportages ne vient qu’en appui de ce monumental travail d’enquête. Évidemment, après ça, les critiques adressées à Sarkozy par les penseurs qui causent dans le poste en France aujourd’hui, les leçons de morale de certains hebdos ou les tentatives de certaines chaînes pour sauver le journalisme politique par l’humour donnent envie de pleurer.

Autre truc français à pleurer, by the way, la qualité plus que défaillante de cette réédition par Tristram. Couvertures hideuses, police atroce, titres pouilleux et racoleurs et, surtout, zéro appareil critique ou explicatif. Est-ce trop exiger d’un éditeur que d’ajouter, dans un livre, quelques notes de bas de page pour, par exemple, situer les hommes politiques américains des années 1970, que je confesse mal connaître, et je ne vous parle même pas d’un index ou d’une chronologie…

C’est à croire que Tristram s’est décidé à faire de la gonzo-édition, en français : du grand n’importe quoi pour faire cool et rebelle. Ils n’ont pas dû lire ce qu’ils publient. Mais ça vaut quand même le coup.[/access]

Novembre 2010 · N° 29

Article extrait du Magazine Causeur



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