Après Jeff Koons en 2008 (rappelez-vous le homard) et Xavier Veilhan en 2009, le château de Versailles invite pour la troisième année consécutive un artiste de l’écurie du galleriste Emmanuel Perrotin. Il s’agit cette fois du Japonais Takashi Murakami.
Ce qui, chaque année, nous est vendu comme l’intrusion éphémère de l’art contemporain dans un temple de l’art classique commence à devenir une habitude qui exaspère les amoureux du Versailles d’antan et ne surprend plus que les touristes venus des antipodes pour voir Vénus et qui restent bouche bée devant Goldorak. Cet effet de surprise est voulu par l’artiste qui s’interroge : « est-ce que ça va faire monter ma cote ? Je ne sais pas ». Je ne sais pas non plus mais je doute qu’un chef renommé puisse acquérir une étoile en ajoutant des smarties à la carte de son restaurant. On me dit que si. J’en reste bouche bée.
C’est donc le parti-pris des organisateurs de l’événement qui, comme l’année dernière et celle d’avant, n’ont que le contraste et le décalage à la bouche. Que l’on trouve le travail de Murakami ou l’art contemporain dans son ensemble génial et prophétique ou grotesque et vain, on peut s’interroger sur cette manie que les décideurs culturels ont de nous coller du clinquant sur du patiné à l’image des colonnes de Buren qui devaient disparaître fissa des jardins du Palais Royal et semble parties pour durer mille ans si on les laisse faire.
Ça n’étonnera personne, les visiteurs VIP ont plutôt aimé l’exposition ; Frédéric Mitterrand est sorti ravi et l’écrivain Chantal Thomas, spécialiste de Sade, a décrété que la Reine, qui s’intéressait à l’art décoratif, aurait beaucoup aimé. Rappelons qu’elle aimait aussi les moutons mais évitons de l’ébruiter car nous pourrions voir un jour le Château ouvrir ses portes au Salon de l’Agriculture.
Les ploucs, ça ne comprend rien à l’art, c’est à ça qu’on les reconnaît
Les visiteurs comme vous et moi seront plus partagés. Certains Japonais qui faisaient de Versailles l’un des grands moments de leur voyage en Europe seront furieux d’y trouver l’art manga qu’ils interdisent à leurs enfants pour éduquer leur goût. Mais leur colère est discrète. Vous connaissez les Japonais, ils sont différents à Versailles et au karaoké. Dans la Galerie des Glaces, ils se tiennent et au micro, ils se lâchent. Mais ceux qui ne sont pas artistes ne peuvent pas comprendre qu’on se lâche dans les appartements royaux.
Les ploucs, ça ne comprend pas ces choses et c’est à ça qu’on les reconnaît. Jean-Jacques Aillagon les a lui-même bien reconnus en qualifiant « d’activisme aux relents xénophobes » les « protestations émanant de cercles d’extrême droite intégristes et conservateurs » qui accueillent chaque année tant d’audace.
Il semblerait que les mêmes empêcheurs de faire de l’art pour milliardaires mais quand même visible par les contribuables (on leur doit bien ça) sévissent aussi au Japon car Murakami avoue qu’il n’aurait jamais pu exposer dans le palais impérial. L’empereur est par principe opposé à la modernité. Comme quoi les monarques vivants se défendent mieux que les rois morts. De plus, les groupes d’extrême droite ne l’auraient pas toléré. S’ils pouvaient ne servir qu’à ça, ceux-là, je les regarderais presque avec bienveillance.
Les œuvres elles-mêmes sont pourtant bien innocentes : des fleurs aux couleurs gaies qu’on trouve sur les papiers peints destinés aux moins de douze ans et des figurines sorties d’un happy meal et grossies cent fois. Rien de choquant, d’iconoclaste ou de subversif cette fois-ci, (on se met à espérer que ces concepts soient enfin passés de mode). Le créateur le revendique et explique que son inspiration, c’est l’univers de son enfance. Ça tombe plutôt bien car cela semble être l’horizon indépassable de millions d’Occidentaux.
Enfin, même si l’on trouve ça joli, l’art de Murakami à Versailles souffre de la comparaison. En voyant des jouets en plastique dans un tel écrin, on comprend que dans son chemin parcouru du classique au postmoderne, l’art a perdu le beau en route.
Kundera nous dit que « le kitsch est la dernière station avant l’oubli ». Puisse-t-il avoir raison. L’empereur du Japon le croit, il ne flirte pas avec le kitsch de peur d’être emporté avec lui. Un souverain sacrément conservateur ! On devrait lui confier nos musées.
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