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Goldman, le bon grand frère


Goldman, le bon grand frère

jean jacques goldman

Si les médias dans leur ensemble n’étaient pas aussi bouchés à l’antiracisme, je n’irais pas chercher chez François Desouche ces informations choisies qui nous donnent à voir une France qui sombre lentement dans un multiculturalisme mortifère. Je laisserais nos amis identitaires à leur mélancolie française, blanche et chrétienne, parce que je m’interroge sur les choix qui les amènent à distinguer dans l’actualité certaines dépêches.

Il y a quelques années, quand l’acteur Édouard Baer a été choisi pour incarner le personnage d’Astérix, j’ai eu un peu de mal à comprendre pourquoi les responsables du site ont tenu à nous le faire savoir. Il faut dire que le comédien est juif. Pas un de ceux qui préservent leur identité dans une ségrégation volontaire et poussent l’observance de je ne sais quels commandements jusqu’à la grossièreté en refusant de serrer la main tendue par des créatures « impures » ou de partager un verre de l’amitié pas assez casher, mais plutôt un juif débonnaire qui se sent juif surtout face à un antisémite et, le reste du temps, vit comme un Gaulois dans une France qui lui a généreusement prêté ses ancêtres et qui se transmet par le cœur autant que par le sang.

Aujourd’hui, en apprenant par le site des imbéciles malheureux qui sont nés quelque part que le chanteur Jean-Jacques Goldman est la personnalité préférée des Français, ma paranoïa est revenue semer le doute dans mon esprit.[access capability= »lire_inedits »] Que viennent faire ces infos sur un média qui ne s’intéresse pas particulièrement à l’actualité du cinéma ou de la chanson ? J’avancerai une réponse et je reviendrai faire amende honorable si je me suis trompé. Je crains les fantasmes d’antisémitisme autant que l’antisémitisme lui-même, mais il me semble que ces choix sont simplement des clins d’yeux maurassistes adressés à la frange de leur lectorat qui trouve qu’un juif, même blond à moustaches, n’aura jamais l’air de Gaule, qui pense qu’un juif ne peut pas comprendre le vers de Michel Sardou : « Ne m’appelez plus jamais France ». Car Jean-Jacques Goldman est juif, j’en mettrais ma bite à couper. Cela dit, dans le climat actuel, antisémitisme feutré, bien élevé et non violent de certains de mes compatriotes, français depuis plus longtemps que moi, est le cadet de mes soucis et le nouveau cru de ce vieux fiel, que répandent sans gêne et sans complexes de nouveaux Français, pourrait bien me faire regretter l’ancien.

Mais qu’importe le doigt pourvu qu’on ait la lune. Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, le classement annuel issu d’un sondage réalisé par le JDD sur les « personnalités préférées des Français », nous informe que Yannick Noah est descendu du podium pour se retrouver à la dixième place et que Nicolas Sarkozy n’arrive que quarante-quatrième. Ce n’est que justice pour ces deux vedettes qui n’ont pas su tenir leurs promesses. Je rappelle aux amnésiques que l’ancien président avait enfoui, à peine élu, le mode d’emploi du Kärcher sous une pile de dossiers en souffrance, sans doute plus aiguë que celle des Français vivant en territoire perdu (pour la République, mais pas pour tout le monde), et que le tennisman chanteur avait déclaré en parlant du mari de Carla : « S’il passe, je me casse ! » Hélas, en juin 2007, malgré la secousse, l’ambianceur de la brousse[1. refrain de Saga Africa, extrait de l’album Black and What, 1991: « Saga Africa, Ambiance de la brousse, Saga Africa, attention les secousses…« ] n’avait pas bougé, perdant toute chance de nous rappeler Victor Hugo, et par le talent – mais ça, on le savait déjà – , et par l’exil, sinon fiscal, mais ça, c’était avant.

Mais revenons à Goldman, arrivé en tête dans le cœur des Français, comme le répètent toutes les vingt minutes les perroquets permanentés de la parité sur les chaînes d’info. Je ne l’ai pas toujours aimé. Au début de sa carrière, le snobisme de mon adolescence m’empêchait d’apprécier un chanteur qui touchait tant de gens, tous jugés plus cons que moi les uns que les autres. On se prend au sérieux quand on a dix-sept ans. Bien plus tard, c’est en tombant sur un entretien accordé à Laurent Boyer que j’ai été séduit par l’intelligence pudique de l’artiste qu’aucune prétention artistique ne menaçait. À une question posée sur son engagement politique, le chanteur rocardien rétorque à l’animateur de révérence qu’étant de gauche, il n’avait pu sérieusement cautionner le programme commun de Mitterrand et de Marchais, laissant l’ami des stars aussi perplexe qu’un geek devant un livre en papier. Plus tard dans la conversation, l’auteur de Comme toi répond au sourire niais du mielleux intervieweur – ou inversement – que l’influence de Pierre Goldman, qui je crois était son demi-frère – je ne suis pas allé fouiner pour le savoir, je ne bosse pas à Mediapart – avait été nulle. Je me suis alors intéressé à ce compositeur de chansonnettes, comme dirait Renaud Camus, capable de prendre ses distances avec un martyr de l’anti­fascisme, fût-il son frère, lequel avait mis Saint-Germain-des-Prés dans la rue avec ses Souvenirs d’un juif polonais né en France, parce que pour ces gens-là, qui aiment tant accuser qu’ils voient Dreyfus partout, la détention d’un écrivain juif et d’extrême gauche est une injustice plus révoltante que le meurtre de deux pharmaciennes dans un braquage raté pour lesquels il avait été jugé coupable, puis rejugé et innocenté.

Accroché par la personnalité de Goldman, j’ai fini par laisser tomber mes préjugés, j’ai écouté ses chansons et je suis devenu client. Je dois avouer que J’attendais, écrite pour Céline Dion, m’émeut encore comme une vache, que Entre gris clair et gris foncé est une mine d’or qui ne cesse de me livrer ses pépites et que dans Rouge, si la musique est bonne, les paroles méritent bien des tours de platine. Écrit il y a trente ans, le texte de Envole-moi prend la voie singulière de la dignité et du courage pour raconter une banlieue où l’émancipation n’est pas un rêve tombé en désuétude et où le désir d’intégration n’est pas qu’une illusion. Cette chanson noire et optimiste, où une volonté farouche et individuelle de casser les déterminismes sociaux ou culturels plutôt que le mobilier urbain sans cesse rénové, où l’envie d’inspirer le respect par le mérite et l’étude l’emporte sur la tentation d’imposer la crainte par la menace et la force, renvoie à leur condescendance les culturistes de l’excuse. Elle est aujourd’hui reprise par une génération de jeunes interprètes souvent issus de l’immigration, qui choisit de transmettre l’héritage de Goldman plutôt que celui laissé par Diam’s ou par Joey Starr. Loin des rengaines sur le ghetto, la jeunesse qui la chante et celle qui l’écoute, sortie par le haut des mêmes cités que celle qui admire Mohamed Merah, nous le dit haut et fort : « Nous ne sommes pas des victimes ». Et par le succès qu’elle rencontre, elle le prouve.

L’auteur de cette chanson, et de tant d’autres encore bien vivantes, est aujourd’hui reconnu, célébré, élu par une majorité de Français, de tous âges et de toutes origines. Par lui, les Français se ressemblent et la France se rassemble. « Tu es de ma famille, bien plus que celle du sang », chantent les interprètes de l’album Génération Goldman, déjà disque de diamant. Il y a peut être dans ces mots et dans ces airs de rien qui courent sur toutes les lèvres quelque chose de ce pont entre les générations, de ce lien social, de ce vivre-ensemble que tout le monde cherche désespérément car là où la chanson passe, il est permis d’espérer qu’un peu d’idéal républicain reste. L’espoir est-il au bout du phono ? Aujourd’hui, je le crois. Je vais attendre un peu avant de retourner déprimer sur Fdesouche.[/access]

Septembre 2013 #5

Article extrait du Magazine Causeur



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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