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Gloire au pâté de campagne!

La chronique du dimanche de Thomas Morales


Gloire au pâté de campagne!

Monsieur Nostalgie ouvre son garde-manger en ce dimanche de novembre et chante les louanges du pâté sous toutes ses formes, comme l’expression d’une civilisation hautement avancée et une résistance à l’arrivée des premiers frimas…


L’automne prend ses aises, les douceurs d’octobre sont déjà un souvenir, nous entrons maintenant dans les froideurs de novembre, le mois du gibier et des abats, des poilus et du bleu horizon. À la campagne, nous enfilerons des bottes en caoutchouc qui s’enfonceront dans les ribinous bretons ; et en ville, nous verrons fleurir les premiers duffle-coats du Maréchal Montgomery sur les trottoirs détrempés à la Caillebotte. En novembre, nous célébrons nos morts et nous nous attablons autour de plats gaillards afin de faire revivre leur mémoire. Du souvenir des êtres aimés au plaisir de partager un repas, le pâté de campagne est ce dernier lien qui unit les peuples en voie de désintégration.

Une nation qui ne serait plus capable de casse-croûter, c’est-à-dire de se satisfaire d’une tranche de pâté avec un pain au levain, n’aurait plus aucun avenir commun ensemble. Ce pâté rustique par son aspect recèle cependant mille strates, mille manières de le façonner, mille couleurs mordorées, mille reliefs subtilement découpés, il est l’or de la cuisine ménagère, une consolidation de l’identité française par sa tentative réussie d’agglomérer des morceaux de viande dans une même terrine. Il est chair et épices, mâche et gelée, gras et maigre, parfaite symbiose d’un pays à la recherche d’une communion. Il est géographie des terroirs et histoire des traditions. Il est surtout cet ami de la famille qui ne chipote pas, qui réjouit autant le bourgeois affairé sur une nappe blanche que l’ouvrier débout sur un chantier, entre la bétonnière et le marteau-piqueur. Il est un peu de chaleur dans une société congelée. Une main tendue vers un idéal gastronomique et œcuménique, alors refuser cet innocent pâté en apéro ou en entrée serait bafouer les règles élémentaires de notre Humanité. Le pâté, par sa modestie, par sa convivialité incarnée, n’a pas le prestige des plats « signatures », et pourtant il est, pour nombre de nos chefs étoilés, une cathédrale du goût, par sa structure architecturale et son éclat ambré. Il demande une maîtrise technique et une touche artistique de haute volée, une cuisson et une salaison que seuls les possédés des fourneaux peuvent atteindre. Certains pâtés ont la beauté d’un Schiele, le reflet d’une peinture viennoise ; quand l’expressionnisme des morceaux se détache afin de créer l’effet visuel de corps en mouvement, l’art du cochon et de la volaille se mettent au diapason pour mieux nous régaler. Et lorsque vous l’avez en bouche, un pâté révèle alors son extraordinaire complexité et vous emmène loin. L’onde nostalgique dont je vous parle si souvent dans mes chroniques est emmaillotée sous cette crépine soyeuse, la dentelle des mères lyonnaises. Le pâté est aussi éminemment littéraire. Robert Courtine (1910-1998), critique culinaire du Monde rappelait la présence du pâté dans l’œuvre de Simenon, notamment dans la nouvelle Le client le plus obstiné du monde. Le journaliste gourmet affirmait que Maigret l’accompagnait d’un verre de Cornas. D’autres écrivains ont vanté les béatitudes du pâté. Dans son Almanach des Quatre saisons, Alexandre Vialatte évoquait le menu qu’Alexandre Dumas Fils « servit pour l’inauguration du buste de son père, le 3 novembre 1883 » et s’attardait sur ce « pâté chaud de pluviers dorés » aussi fantasmagorique que la plume du chroniqueur auvergnat. Georges Haldas (1917-2010) dans La Légende des repas se souvenait d’un pâté servi dans un « petit établissement » de la Dombes. « On avait le sentiment, ce jour-là, de vivre, en mangeant, quelque chose d’authentique encore et de réconfortant. Comme quand on sort le matin dans un léger brouillard. Dont on sait qu’il va se dissiper », écrivait-il. Le pâté dissipe en effet les malentendus, il est un pacificateur né.

Pour ceux qui ne seraient pas convaincus par les vertus du pâté de campagne sur les Hommes et le trouveraient trop roturier pour leur délicat palais, je conseille de lire Ma Tour d’Argent de Claude Terrail (1917-2006) qui s’enthousiasmait sur un pâté de merles bruns (les femelles des merles sont, parait-il, brunes). Les premières lignes de cette recette sont de la littérature pur jus : « Choisissez 12 beaux merles que vous désosserez avant de les mettre à mariner dans du madère. Les entrailles que vous avez réservées, hachez-les fines et faites-les sauter à la poêle… ».

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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