Tout porte à croire que les années 60 appartiennent à l’Histoire : la preuve, parlez-en à un jeune et il ne vous croira pas… les jupes étaient « mini », John Lennon était vivant et plus célèbre que le Christ, la guerre était « froide », les femmes mettaient des fleurs dans leurs cheveux, le roman était « nouveau », les téléphones pesaient autant que des bergers allemands et l’homme marchait sur la lune.
Seuls douze privilégiés ont foulé le sol du satellite naturel de la Terre ; tous nés entre les années 20 et les années 30, tous mâles (les filles ne savent pas lire les cartes ni faire de créneaux c’est connu !), pour la plupart issus de l’armée américaine (Navy ou Air Force) … et s’ils ont planté à chacune des missions Apollo la bannière étoilée sur la lune, marquant la victoire des Etats-Unis dans la « course » à l’espace, tout le monde a vu le signe d’un bond en avant technologique (finissant de nous faire entrer dans l’ère de l’électronique et de l’informatique) et une extraordinaire aventure humaine, que le tout premier de ces pionniers a résumé dans une formule devenue si célèbre qu’on peut la lire sur des t-shirts : « C’est un petit pas pour un homme, mais un bond de géant pour l’humanité ». Ce pionnier était Neil Armstrong. Il vient de s’éteindre à l’âge de 82 ans, des suites de banales complications consécutives à une récente opération du cœur ; et la presse du monde entier le pleure en semblant redécouvrir que même les légendes sont mortelles, autant que les hommes. Sur les douze aventuriers qui ont posé le pied sur la lune entre la fin des années 60 et le début des années 70, il n’en reste désormais plus que huit à pouvoir témoigner pour les enfants rêveurs que l’homme a vraiment accompli ce délicieux et superflu miracle.
Mais j’entends déjà les mauvaises langues chipoter. Certes, avant lui Cyrano de Bergerac et Jules Verne avaient déjà exploré en imagination les faubourgs lunaires, sans parler de Georges Méliès ou même de Georges Remi – alias Hergé – qui a eu l’audace d’envoyer sur notre satellite, dès 1953, un journaliste nommé Tintin, son chien étrange, son ami alcoolique capitaine de la marine marchande, deux policiers burlesques à chapeau melon et un savant fou affecté de surdité comique. Sans parler de tous ceux qui sont perpétuellement dans la lune… Il y avait donc déjà foule sur l’astre, quand Neil Armstrong y a déposé – ce 20 juillet 1969, 20:17:39 UTC – le module « Eagle » sur la Mer de la tranquillité (plaine basaltique lunaire désolée, devenue l’espace de quelques heures une annexe de la planète bleue) avant d’en sortir peu après en compagnie de Buzz Aldrin pour se dégourdir les jambes, faire un peu de science, de politique et de télévision.
Avant de devenir le chouchou interstellaire des médias, insouciant scaphandrier moderne, Neil Armstrong avait déjà discrètement cultivé l’héroïsme dans sa jeunesse en effectuant près de 80 missions en tant que pilote de chasse dans le contexte de la guerre de Corée aux alentours de l’année 1952. La suite est bien connue : sa carrière de pilote d’essais, sa sélection en tant qu’astronaute dans le programme Gemini, son premier pas dans l’espace, puis destination la lune !
On apprend, à l’occasion de sa mort, que malgré des centaines de demandes, il n’aura accordé qu’à une dizaine d’écoles américaines le privilège de porter son nom. Modestie. Lui qui aura laissé pour l’humanité entière, sur la lune (à ne pas confondre avec Broadway) la mémoire d’une poignée de mots historiques de sa voix et la grâce de quelques pas… De son pas. Ce pas. Cette trace crantée, immortelle, imprimée sur la surface de la lune pour l’éternité, à l’abri des vents et de l’érosion. Une trace qui nous survivra.
Mort d’un poète lyrique.
*image : x-ray delta one/Flickr
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