Islamophobie et antisémitisme sont des mots que l’on entend beaucoup en ces temps difficiles. Christianophobie c’est plus rare… Le Président de la République condamne la décapitation de 21 coptes en faisant seulement état de leur nationalité égyptienne. Le même Président suivi par le maire de Paris a pris l’habitude de saluer soigneusement les fêtes juives et musulmanes, se gardant bien de faire de même pour les fêtes chrétiennes. À la trappe Noël et Pâques. Voilà un tableau faisant le compte des profanations de cimetières chrétiens, juifs et musulmans. Horreur !
Quelques instants plus tard, les cimetières chrétiens sont devenus simplement municipaux ! À Nantes, un énergumène entre dans la basilique Saint-Nicolas, jette un crucifix à terre et urine dessus. Immédiatement, le parquet colmate. Simple « dégradation de monument historique ». Qui débouchera sur une relaxe comme dans l’affaire de des cloches de Notre-Dame. Allons, qu’est-ce que vous allez chercher, une fois nettoyé le crucifix sera comme neuf. Rappelons à ce procureur subtil que pour une tête de porc laissé devant une mosquée un soir de beuverie, en France, c’est neuf mois dont trois fermes.
Alors, le républicain équitable sent naître vis-à-vis de ses concitoyens chrétiens un sentiment de solidarité. Patatras ! C’est le moment choisi par certains de nos amis cathos pour lancer une campagne absurde et cédant à la mode qui consiste à saisir la justice. Démontrant que derrière les ouvertures papales, la tentation de l’ordre moral est toujours bien présente chez certains.
De quoi s’agit-il ? Une partie de la cathosphère s’est offusqué des publicités affichées à l’arrière des bus faisant la promotion d’une application numérique mettant en contact des gens tentés par des aventures extra-conjugales. L’existence d’une telle application démontre s’il en était besoin la capacité de la société marchande de s’insinuer partout, ce qui n’est quand même pas un scoop.
Ah mais non ! Attention, tout ceci est très mal ! Tollé, campagne, lobbying, « morale, bonnes moeurs, valeurs, scandale ! ». Les maires ne sont pas en reste qui pour certains demandent (et obtiennent) le retrait des affiches, et pour d’autres prennent des arrêtés d’interdiction (!). Jusqu’à Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à l’assemblée, qui prend leur parti. Ce qui aurait dû attirer l’attention, le soutien d’un personnage de ce calibre étant quand même très mauvais signe. Le pire est atteint par ces 170 élus qui se fendent d’une lettre ouverte au patron de la RATP dans Le Figaro.
Montrant qu’ils ne sont pas remis de n’avoir su monter dans le train de la Manif pour tous. En se bousculant pour monter dans le tortillard de cette mauvaise cause. Pour breveter les pauvres arguments, on les prétend juridiques et on annonce à grand fracas « qu’on a saisi la justice ».
Une fédération d’associations catholiques aurait assigné la société propriétaire du site de rencontres adultérines Gleeden pour « contester la légalité du site et de ses communications publicitaires« . Gros doutes : quel est l’objet de la procédure, quelle juridiction saisie, quel intérêt pour agir ? En France, le contrôle de la conformité à l’ordre public appartient à l’État.
Et surtout quels sont les arguments juridiques ? Ne disposant pas de l’assignation, contentons-nous de ceux publiés dans la presse et sur les réseaux.
Pour les associations, Gleeden, en facilitant « l’adultère, fait la promotion publique de la duplicité, du mensonge et de la violation de la loi. Car si l’infidélité n’est plus une faute pénale depuis 1975, l’article 212 du Code civil dispose que « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance ». La convention entre le site et ses membres serait donc irrégulière car basée sur la promotion de comportements illicites. »
Bien bien bien. Malheureusement, cette initiative est juridiquement fantaisiste, et surtout politiquement sévèrement à côté de la plaque. Et en ce moment c’est une mauvaise action.
Sur le plan juridique tout d’abord. Qu’est-ce que le mariage ? Un objet juridique double. C’est tout d’abord un contrat spécifique auquel le couple adhère pour obtenir le statut « d’époux ». Ensuite une institution organisée et contrôlée par l’État en raison de ses conséquences familiales et patrimoniales. Cette double nature explique qu’il soit prononcé par le maire agissant comme officier d’État civil au nom de l’État (l’institution), mais qui va vérifier et recueillir le consentement des époux à cet engagement (le contrat). Une fois prononcé il est publié et devient opposable aux tiers. Toutes les sociétés humaines connaissent ou ont connu le mariage. Celui-ci a pris des formes et connu des évolutions différentes. Chez nous, au mariage religieux a succédé le mariage républicain. En 1804 Portalis un des auteurs du Code civil le définissait comme « la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et pour partager leur commune destinée. » Cette simple lecture démontre à quel point nous en sommes loin aujourd’hui. Le divorce de masse, l’individualisme triomphant, et plus récemment le « mariage pour tous », dernier clou planté dans le cercueil, ont peu à peu vidé l’institution de sa substance. Le mariage est devenu un contrat presque comme les autres. Qui prévoit des obligations et une rupture fautive si elles ne sont pas respectées.
En quoi l’adultère, non-respect de l’obligation contractuelle de fidélité serait-elle un comportement illicite, pour d’autres que les deux époux concernés ? Alors, qui prête son appartement à une copine qui a une aventure, est le complice d’une opération contraire à l’ordre public ? L’époux, pris par le démon du jeu, qui dilapide l’argent du ménage, contrevenant ainsi à son devoir de secours verra le divorce prononcé à ses torts. Mais devrait-on aussi poursuivre les casinos et la Française des jeux ?
Et qu’est-ce que l’adultère aujourd’hui ? Une question relevant de la vie privée. Dans les sociétés antiques, elle était souvent considérée comme portant atteint à l’ordre social. La parabole de la première pierre nous rappelle que les musulmans n’étaient pas les seuls à lapider. Les Romains n’étaient pas tendres non plus. Aujourd’hui c’est fini. L’infraction pénale tombée en désuétude a été abrogée en 1975. Ce n’est plus une cause péremptoire (automatique) de divorce. Et si elle est encore utilisée dans les procédures pour faute (20 % des divorces), c’est une forme très subjective et relative qui est utilisée par le juge. Ainsi, la simple inscription sur un site de rencontre peut être considérée comme une infidélité. Au contraire des Romains pour lesquels il n’y avait d’adultère que « gladius in vaginam » (traduction inutile), la consommation n’est plus nécessaire pour constituer une faute contractuelle susceptible de faire prononcer le divorce.
Deux autres arguments de nos nouveaux pères–la-pudeur lèvent le voile sur l’opération. Gleeden ferait « la promotion publique de la duplicité et du mensonge » au-delà du ridicule de l’affirmation, on répondra : et alors? Le mensonge et la dissimulation font partie des universaux anthropologiques dont l’utilité sociale est évidente. Et puis s’il vous plaît, adultère et mensonge, laissez-nous tranquilles avec vos dix commandements.
Et on nous assène que « derrière l’infidélité, il y a des enfants, des familles brisées, des drames familiaux ». Inversion des causes et des conséquences. Il vaudrait peut-être mieux incriminer d’abord sur les causes sociales de ces problèmes. Le sort d’un enfant français d’une famille recomposée sera de toute façon toujours plus enviable que celui d’un gamin des trottoirs de Manille. Ajoutons méchamment qu’il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin. Et puisque l’adultère est responsable de tant de malheurs, suivre l’ayatollah Kazem Sidighi qui lui impute les tremblements de terre…
On voit bien dans ces discours se profiler l’envie irrépressible de réinjecter dans la sphère publique une morale religieuse qui n’a rien à y faire. Ces tentatives récurrentes sont vouées à l’échec. Et disqualifient leurs auteurs
Et ce n’était franchement pas le moment d’agiter ce grelot. Le difficile débat sur la laïcité, qui concerne d’abord l’islam de France n’a pas besoin de ce genre de diversion qui permet tous les amalgames. Bien qu’athée, je sais faire la différence entre les religions.
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