Le recueil Le goût de la paresse rappelle à notre chroniqueur Thomas Morales d’heureux souvenirs de jeunesse où il était oisif
Très tôt, j’ai pressenti les ravages du travail sur ma santé mentale. C’est pourquoi, j’ai tout fait pour m’en éloigner. Plus la société m’incitait à gesticuler, moins j’avais le goût de participer à cette mascarade. J’ai dû user de subterfuges pour échapper à mon triste sort et aux vertus de l’engagement, socle de notre République laborieuse durant les années 1980/1990. Et il en fallait de la persévérance et de l’imagination pour combattre au quotidien tous ces grignoteurs de temps libre. Nous étions cernés. Partout, à la télé, dans les journaux, à l’école ou à l’usine, ces empêcheurs de vivre n’avaient qu’un mot à la bouche : l’effort ! Très tôt donc, dès l’adolescence, j’ai intégré le principe de précaution quand celui-ci n’était pas vanté par les hommes politiques. J’étais en avance sur mon époque sans le savoir.
Morales naturellement porté sur la sieste
Désœuvrés, apathiques, indolents et parfaitement conscients de nos actes, nous l’étions, mes camarades et moi. Nous passions des étés à végéter aux terrasses des cafés sans consommer, se levant de nos chaises seulement dans les cas extrêmes pour engager une partie de baby-foot. Le vendredi soir, un juke-box fatigué diffusait Hotel California en boucle, sorte de préambule avant de partir en boîte de nuit à une vingtaine de kilomètres, là aussi, dans une forme de lassitude joyeuse. Nous nous déplacions nonchalamment sans attendre d’événements particuliers.
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Nous laissions couler le filet de notre existence avec sagesse et indifférence. Je repense avec bonheur à nos errances campagnardes. Je nous revois, blottis dans une Renault 5 Automatique à toit en vinyle noir, bercés par l’autoradio et les standards de Julio Iglesias. Pauvres diables, nous n’avons pas changé. Nos parents trouvaient que nous manquions d’entrain et que nous donnions un exemple déplorable aux autres gamins du pays. Ils n’avaient pas compris que nous ne singions personne, ni ne provoquions le système, nous étions naturellement portés vers la sieste et le détachement. Bien plus tard, j’ai découvert chez les personnages égyptiens du romancier Albert Cossery, un cousinage avec nos mœurs berrichonnes.
La paresse, un comportement mal vu
Voilà comment nous avons dépensé notre maigre énergie et notre courte jeunesse, en glandant et en commentant, à la fainéante, les rares passants qui traversaient notre place, à vrai dire, déserte en juillet et en août. Seules quelques touristes hollandaises égarées suscitaient notre intérêt nous réveillant de notre torpeur caniculaire par des commentaires désobligeants. Le mauvais esprit n’était pas encore condamnable à ce moment-là de notre histoire. Nous étions déjà moralement suspects dans une décennie animée par des winners et des stakhanovistes de l’emploi à plein temps. La patronne de notre bar d’élection, plus entomologiste que débitrice de boissons, nous acceptait comme des parasites ruraux, elle étudiait notre comportement sans nous juger. Admirable femme. Nous formions une bande campagnarde d’un genre très ancien, nous pratiquions la paresse en groupe. La communauté annihilait notre volonté de bouger, de discuter et donc de nous engueuler.
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Nous vivions comme certaines tribus sauvages dans l’harmonie et la paix civile. Ce qui paraissait encore plus improbable dans notre comportement déviant, c’est que même la présence de filles ne modifiait pas nos habitudes. Irrécupérables, nous vivions dans la contemplation. Et cette léthargie volontaire pouvait durer les deux mois de vacances. A cet âge, j’aurais été ravi de lire Le goût de la paresse qui vient juste de sortir au Mercure de France, très joliment et malicieusement présenté par Jacques Barozzi, spécialiste du sujet. « Travaillant juste ce qu’il faut pour gagner, aujourd’hui comme hier, rien de plus que… mon argent de poche ! C’est dire que la paresse, je sais ce que c’est. J’en connais la valeur et j’en connais le prix à payer ! » nous prévient-il, dès son introduction. Nous sommes en famille. Il ajoute même : « L’oisiveté semble avoir de plus en plus mauvaise presse. Raison pour laquelle il me paraît urgent d’aller voir ce qui se cache sous cette notion tant décriée ». Conformément au concept de cette collection de poche, très instructive et maligne, l’auteur dessine, à travers de nombreux extraits de Théophile Gautier à Françoise Sagan, trois thèmes : les vertus de la paresse, les portraits de grands paresseux et les petits plaisirs de la paresse. On aime l’entrée en matière de l’écrivain britannique Jerome K. Jerome : « La paresse a toujours été mon point fort. Je n’en tire aucune gloire, c’est un don ». On suit le conseil de Robert Louis Stevenson : « Les livres sont certes utiles, à leur manière, mais ils sont un substitut bien insipide de la vie ».
Et l’on tend l’oreille à la proposition de Bertrand Russell : « Je veux dire qu’en travaillant quatre heures par jour, un homme devrait avoir droit aux choses essentielles pour vivre dans un minimum de confort, et qu’il devrait disposer du reste de son temps comme bon lui semble ». Les prochains candidats à la Présidentielle seraient bien inspirés de lire ce merveilleux guide politique.
Le goût de la paresse – textes choisis et présentés par Jacques Barozzi – Mercure de France
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