Hier, à la moitié du procès des viols de Mazan, Gisèle Pelicot a été entendue. La victime a affirmé n’avoir « ni colère ni haine » mais être « déterminée à changer cette société ».
Le témoignage de Gisèle Pelicot a beaucoup ému le tribunal – et le public. À raison.
Un procès, c’est une histoire humaine qui se rejoue en direct. Souvent, c’est une histoire ordinaire ; là, il s’agit d’un drame exceptionnel et hors-norme. L’émotion est maximale, sans doute parce qu’il est question de la sexualité humaine, qui avec l’argent est un des plus puissants ressorts du crime. Au point que Libé fait précéder ses articles concernant l’affaire des viols de Mazan d’un trigger-warning[1] ! Un « traumavertissement », en bon français. « Ces articles relatent la description de violences sexuelles et peuvent choquer ».
Effroi et compassion
Tout être humain doué d’empathie ressent de l’effroi et de la compassion pour Gisèle Pelicot qui dit être « une femme totalement détruite ». Mais aussi de l’admiration pour « l’invaincue » (titre du papier de Pascale Robert-Diard, dans Le Monde). Mme Pelicot est détruite mais debout.
Pour la première fois, elle s’adressait hier à son ex-mari, en l’appelant par son prénom. Elle a évoqué leur vie commune, leurs trois enfants et sept petits-enfants. Mais, la phrase la plus relevée est la suivante : « Je n’exprime ni ma colère ni ma haine, mais ma volonté et ma détermination pour qu’on change cette société. » Deux heures après, parmi d’autres journaux, Le Courrier international titrait : « le témoignage de Gisele Pelicot va-t-il changer la société ? »
Culture du viol
En quoi cette question me choque-t-elle ? La question ne me choque pas vraiment, mais elle m’interpelle. Surtout, la réponse est non. Et cela pour deux raisons :
L’objet d’un procès est de juger des criminels ou des délinquants particuliers. On ne juge pas le viol. On ne juge jamais le crime, l’assassinat ou la délinquance. Les tribunaux jugent des cas spécifiques et les juges apprécient des responsabilités individuelles. Certes, cela peut être un peu différent pour les crimes de masse. Le procès de Nuremberg ou le procès d’Eichmann à Jérusalem ont, sinon été des procès du nazisme, permis de comprendre ses ressorts. Mais jamais d’empêcher les résurgences néo-nazies, en réalité. Croyez-vous vraiment que les procès de Charlie ou du Bataclan ont changé la société ? Ils ont peut-être un peu amélioré notre compréhension de l’islamisme, mais ils n’ont pas dissuadé les candidats-djihadistes ni stimulé notre combativité.
Par ailleurs, ce qu’on voit au tribunal d’Avignon, ce n’est pas la société, mais des gens qui ne respectent pas ses règles élémentaires. On en revient à ce que je répète depuis le début de ce procès : on ne juge pas la « culture du viol ». Nous ne sommes pas entourés d’hommes qui font violer leur femme. Et il n’y a pas de culture du viol en France, à mon avis: le viol était déjà condamné socialement et judiciairement bien avant MeToo. Certes, peut-être pas assez, peut-être pas toujours dans les meilleures conditions – on peut toujours faire mieux. Mais si les femmes ont honte d’aller déposer plainte, ce n’est pas forcément à cause du fonctionnement de la justice et de la police, mais tout simplement parce qu’il est très difficile d’accuser quelqu’un qui est le plus souvent un proche et que cela charrie des choses très intimes.
Peut-être Mme Pelicot peut donner du courage aux victimes, mais arrêtons de dire que ce procès changera la société. Au mieux, il donnera des bribes de réponse à la question vertigineuse de Gisèle Pelicot: comment l’homme qu’elle aimait a-t-il pu lui faire ça ? Désolée, ce n’est pas la faute de la société.
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Trigger_warning_(psychologie)