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SOS terriens en détresse


SOS terriens en détresse

Dans certains milieux, on trouve que décidément le millésime 1981 ne passe pas. « Annus horribilis » aurait soufflé la Reine Elisabeth II au Prince Philip à l’issue de la cérémonie de mariage du petit Charles. Cette Diana Spencer, était-ce vraiment le bon choix pour un rejeton royal ? Une fille de la campagne, de surcroît native du comté de Norfolk et pourquoi pas des péquenots au Palais de Buckingham. En France, ce n’était guère mieux à la même époque, La danse des canards avait envahi depuis 1980 toutes les ondes et les parquets des bals populaires. L’étiquette n’était plus respectée même sur la planète Oxo ! La droite ne se remettait toujours pas de la vague rose : un florentin à l’Elysée et des cocos dans les ministères. Ça va forcément péter ! Cette série de catastrophes naturelles avait commencé par l’arrivée de JR sur le petit écran. « Dallas et son univers impitoyable » allaient galvaniser les audiences de TF1 et les rêves secrets des entrepreneurs. La concurrence libre, c’est comme une partie de rodéo, disait-on dans les couloirs du CNPF avec des dollars pleins les yeux. Il suffit seulement d’être du bon côté de la corde, précisait-on ironiquement. Et puis, en décembre, dans les salles, le coup de massue : la sortie de « La soupe aux choux » de Jean Girault avec Louis de Funès, Jean Carmet et Jacques Villeret.

Ce Girault n’était, à l’évidence, pas sérieux, un anarcho-cinéaste en puissance qui avait ridiculisé jadis la Gendarmerie et le joli port de Saint-Tropez. Après le képi, il s’attaquait à salir nos belles campagnes à coups de flatulences et d’extraterrestres gloutons. A cette époque-là, on ne parlait pas encore de ruralité ou de choc des mobilités. Les technocrates étaient pourtant à la manœuvre, ils ripolinaient le pays, gommant toutes ses aspérités rétrogrades. L’Europe nous épiait. Il fallait chanter l’hymne de l’expansion économique plutôt que « Douce France ». En adaptant le roman de René Fallet publié en 1980 chez Denoël, Girault a manié des gaz hilarants qui ont fait Pschitt sur grand écran, tout de même trois millions de spectateurs au box-office ! Chiffre respectable qui peut se multiplier par dix avec les innombrables retransmissions télévisées, toujours au cœur de l’été, depuis trente-cinq ans.

La comédie impose un dosage délicat pour exhaler tout son fumet. Le film souffre, à l’évidence, de quelques lourdeurs stylistiques. De Funès, au plus mal dans son masque de cire, manque de souffle et le costume interstellaire de « La Denrée » dans lequel Villeret est boudiné façon Bibendum, n’arrache pas automatiquement les rires. Ça sent le nanar à plein nez et pourtant la présence d’un Carmet cosmique (Le Bombé), à la limite du réel, relève le niveau olfactif de l’ensemble. L’aplomb phénoménal de Marco Perrin enfilant l’habit de ce maire, fou de modernité, déclenche à chaque visionnage un plaisir immense. Sans oublier la partition très subtile de la trop méconnue Christine Dejoux, que les réalisateurs actuels feraient bien de (re)découvrir. Cette actrice ressuscitait Francine, l’épouse du « Glaude » (de Funès) avec une force tranquille et une finesse de jeu que le temps n’a pas altérées. Relire le roman, c’est se plonger dans l’œuvre du seul révolutionnaire pinardier que compte notre pays, originaire de Villeneuve-Saint-Georges en banlieue parisienne mais rattaché viscéralement au département de l’Allier. René Fallet (1927-1983) avait fait du Bourbonnais, l’épicentre du Monde, et de la Besbre, cet affluent de la Loire, la source de son imagination champêtre. Sa « soupe aux choux » a obtenu le Prix Rabelais et, comme presque toute sa production littéraire (Paris au mois d’août, Les vieux de la vieille, le Triporteur, Un idiot à Paris, etc.) a atterri au cinéma.

Le premier chapitre du livre est un constat sans appel sur la désolation de ces provinces abandonnées, Zemmour et Tillinac ont dû s’en inspirer pour écrire leurs essais, trois décennies plus tard : « Au village, donc, il n’y avait plus rien », c’est-à-dire plus de lavoir, plus de curé, plus de facteur à pied ou à bicyclette, plus d’idiot, plus de crottin sur les routes, plus de batteuses, plus de coiffeur, plus de bistrot, plus de petits commerces et modestes professions. Ce village « serait un jour rayé du cadastre et du globe. On le raserait, si nécessaire, pour édifier sur l’emplacement un hyper-supermarché, sous condition que l’idée en paraisse rentable à quelque promoteur » écrivait Fallet, visionnaire devant l’éternel.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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