Ce gonze-là, il était marle comme tout. On racontait que son chibre tenait plus du mât de cocagne que du colibri et qu’il ne pouvait pas passer une journée sans se dégourdir la braguette. Il avait des coliques bâtonneuses, toujours au garde-à-vous, pire qu’un président du FMI. On aurait dit une maladie.
Comme il n’était pas du genre à se coller un rassis ou à jouer à la bataille de jésuite, il fallait qu’il trouve sa ration de gardons. Au minimum, lorsqu’il avait trop trainé avec ses potes gigolpinces ou essayeurs dans des maisons d’abattage, il se faisait défromager le minaret par une nuiteuse de permanence au bobinard.
Un jour, lui vint le désir d’amours (presque) honnêtes. Il eut envie d’un mariage à la détrempe avec une morue d’eau douce pas encore trop usée. Il la trouva, ou plutôt crut l’avoir trouvée. Hélas, au bout de deux mois, elle avait la devanture gondolée et se retrouvait avec plein de crabes de calcif et d’autres écrevisses de mer sur l’écouvillon. Ca lui apprendra à avoir les premiers rêves de cave venu avec une nichonneuse plombée ne cherchant qu’à se faire greluchonner.
Obscène, vous avez dit obscène ?
Si quelques aspects de ce conte moral vous ont échappé, il faut vous procurer L’Argot d’Eros de Robert Giraud, opportunément réédité ces jours-ci par La Table Ronde dans sa collection de poche La petite vermillon. Nous avions déjà parlé de Robert Giraud (1921-1997) à l’occasion d’une jolie biographie écrite par Olivier Bailly.
Copain de Blondin et Doisneau, témoin irremplaçable de la vie bistrotière du Paris d’après guerre, il s’est révélé un remarquable lexicographe des marges. Giraud se montre un spécialiste de l’argot dont il a recensé les plus pittoresques dérives dans deux domaines essentiels : les excès de boisson et les écarts de l’amour.
On appréciera deux choses dans cet Argot d’Eros : la richesse des exemples et une réflexion profonde sur l’obscénité. Le lecteur y retrouve en effet un corpus de citations dont la litanie forme une histoire littéraire aimablement subversive. Ce panthéon recouvre les grands noms des années cinquante comme Alphonse Boudard, Ange Bastiani alias Maurice Raphaël ou René Fallet, des auteurs fin de siècle comme Jean Lorrain, Aristide Bruant et Verlaine, sans compter un important contingent d’écrivains du XVIIIème siècle, cet âge d’or du libertinage heureux des Casanova, Mirabeau ou Andréa de Nerciat.
Au-delà de son érudition, cet Argot d’Eros nous invite à réfléchir sur la nature de l’obscénité contemporaine. Au cas où vous en doutiez, le déballage de ces dernières semaines illustre la tendance du puritain à exposer publiquement chez les autres ce qu’il refoule chez lui. Après les affaires DSK et Tron, la lecture de Giraud rappelle finalement qu’il est beaucoup plus malsain et indécent d’évoquer des traces d’ADN dans un Sofitel new-yorkais que de déclarer avec Thérèse philosophe : « Je saisis alors sans hésiter la flèche, qui, jusqu’alors, m’avait paru si redoutable et je la plaçai moi-même à l’embouchure qu’elle menaçait. »
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