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Giorgia on my mind

En Europe, le magnat conservateur Elon Musk peut compter sur Mme Meloni


Giorgia on my mind
Elon Musk, PDG de Tesla, remet un prix à Giorgia Meloni, présidente du Conseil des ministres italien, lors du dîner des Global Citizen Awards, le lundi 23 septembre 2024, à New York © Michelle Farsi/AP/SIPA

Dans sa volonté à peine cachée de changer le cours de la politique européenne, Elon Musk semble trouver un véritable ange gardien en la personne de la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni. Analyse.


C’est, peut-être, l’œuvre de l’intelligence artificielle, ce nouveau Golem de l’humanité, et la plus amusante de nos jours dans la sphère politico-médiatique : « Muskloni »1. Au mois de décembre dernier, une vidéo montrant un baiser passionné entre Giorgia Meloni et Elon Musk a fait le tour de la planète web. La scène s’est passée à Notre-Dame de Paris, lors de la cérémonie de réouverture de la célèbre cathédrale après l’incendie de 2019, qui a réuni pour l’occasion de nombreux dirigeants politiques et des personnalités influentes de l’Occident.  Alors que les photographes ont capté un moment d’échange entre la présidente du Conseil des ministres d’Italie et le patron de Tesla, les pirates du contenu numérique se sont chargés de fabriquer à partir de cette image une vidéo romantique d’un couple rapidement baptisé par la Toile « Muskloni ». Ce terme, qui mélange les syllabes des noms de deux protagonistes, s’inscrit dans la tradition des appellations données par les tabloïds aux couples de célébrités tels que Brangelina (pour Brad Pitt et Angela Jolie) ou encore Bennifer (Ben Affleck et Jennifer Lopez)… 

[ndlr : évidemment, cette vidéo est truquée et générée par de l’intelligence artificielle]

L’intelligence artificielle, souvent présentée comme une révolution majeure, n’a sans doute pas attiré l’attention mondiale uniquement par la qualité de ses performances techniques. L’alliance entre la femme politique italienne et l’homme d’affaires sud-africain est bien réelle et s’est déjà concrétisée par d’importants contrats entre l’Italie et les entreprises du milliardaire. Elle incarne un symbole fort du pouvoir émergent qui, depuis l’élection de Donald Trump, semble vouloir façonner un nouvel ordre mondial, et peut-être même un nouvel ordre moral en Occident. Cette alliance associe la puissance financière et la modernité technologique d’un côté, et de l’autre, un conservatisme largement soutenu par la population occidentale. Plus encore, elle favorise l’action à la parole, une qualité qui distingue ces deux figures d’autres personnalités du paysage médiatique actuel.

L’audace de Musk -le premier représentant de la surpuissante Big Tech américaine à avoir apporté son soutien au candidat-républicain Trump – lui a valu la réputation de « fou »  et de « dérangé »2, tant ses opinions exprimées sur le réseau social X sur la vie politique européenne sont peu appréciées par les élites au pouvoir sur le Vieux Continent. Le courage de Mme Meloni s’est lui manifesté dans ses prises de position sur la question migratoire ou encore au sujet des dérives du wokisme et a fait d’elle la femme politique la plus en vue actuellement sur la scène internationale… Et sans doute, n’en déplaise à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, la nouvelle reine de l’Europe.

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Une féministe contre les progressistes

« Je suis Giorgia, je suis une femme, je suis une mère, je suis italienne, je suis chrétienne ».3 C’est ainsi que ce petit bout de femme aux yeux revolver et aux discours enflammés a défini, il y a quelques années, son identité politique lors d’un meeting de son parti Fratelli d’Italia. C’est avec un discours insistant sur les valeurs traditionnelles que la cheffe du gouvernement italien de 48 ans, élevée dans une famille monoparentale et elle-même mère célibataire, a réussi à ringardiser les postures des milliers de néo-féministes obsédées par la déconstruction de l’histoire millénaire de leurs pays, et qui, au passage, leur a permis de bénéficier de ses immenses acquis politiques, sociaux et culturels… Arrivée au pouvoir en 2022, Mme Meloni a rapidement fait preuve d’un sens politique et diplomatique assez incroyable et les résultats ne se sont pas fait attendre. Les chiffres de l’immigration irrégulière en Italie en 2024 ont été en baisse de 60% par rapport à l’année précédente et de 38 % par rapport à 2022.4 Pour y arriver, le gouvernement du pays a soigné ses relations avec la Libye et la Tunisie, en signant avec ces derniers des accords qui ont déjà permis le rapatriement de 9 000 migrants. Le pays a durci les lois sur les regroupements familiaux, a renforcé les peines pour les passeurs et a mis en place un contrôle drastique des activités des ONG.

Alors que ses alliés politiques les plus proches comme Silvio Berlusconi ou Matteo Salvini ne cachaient pas leur sympathie pour le président de la Russie Vladimir Poutine, à son arrivée au pouvoir Mme Meloni a apporté un soutien appuyé à l’Ukraine. Cette position purement atlantiste lui a permis de gagner la confiance du président américain Joe Biden sans pour autant s’aligner politiquement avec le parti démocrate américain. Georgia Meloni a décidé d’arracher des mains de la gauche italienne le contrôle sur la culture et de créer un « nouvel imaginaire Italien ». Son camp politique a alors poussé dehors les étrangers à la tête d’établissements culturels prestigieux. Les Français Stéphane Lissner, directeur de Teatro San Carlo de Naples et Dominique Meyer, qui gérait la mythique La Scala, en ont fait les frais.

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Giorgia – Elon , l’impossibilité d’une île 

Et puis Giorgia a les yeux qui brillent de mille feux pour Elon.5 En décembre 2023, la dirigeante italienne organise une réception royale pour l’homme le plus riche du monde aux abords du château Saint-Ange à Rome, érigé sur le mausolée de l’empereur Hadrien.  Elle engage avec le businessman les pourparlers autour d’un grand projet entre sa société SpaceX et le gouvernent italien pour l’accès sécurisé à Internet du ministère italien de la Défense, ou encore pour les situations d’urgence telles que les attaques terroristes.6

Et quand Elon Musk a rédigé sur X des critiques acerbes envers le chancelier allemand Olaf Scholz et le Premier ministre britannique Keir Starmer, l’amie Giorgia a volé à son secours avec ces mots : « À ce que je sache, Elon Musk ne finance pas de partis, d’associations ou de politiciens à travers le monde. C’est ce que fait par exemple George Soros. Et oui, je considère cela comme une dangereuse interférence dans les affaires des États et leur souveraineté ».7

Combien de temps la femme forte de l’Italie saura-t-elle pratiquer le grand écart entre son amitié outre-Atlantique et ses partenaires européens, qui, pour la plupart, ne sont pas du goût du milliardaire ? L’avenir nous le dira, ou, peut-être, ChatGPT ? La nouvelle coqueluche de la tech californienne sans laquelle, à en croire ses 300 millions d’utilisateurs hebdomadaires, notre existence sur Terre semble ne plus être possible.8 En attendant le verdict de la sainte IA, il est toujours possible de fredonner la sublime chanson de Ray Charles. Un simple plaisir qui semble nous échapper de plus en plus…

« Georgia, douce Georgia, je ne trouve aucune paix
Juste une vieille chanson douce
fait que je garde Georgia en moi
d’autres bras se tendent vers moi
»9


  1. « Muskloni » : l’IA invente une romance entre Giorgia Meloni et Elon Musk | Euronews ↩︎
  2.  Musk  » fou » et  » dérangé » ↩︎
  3. « Je suis Giorgia, femme, Italienne, et chrétienne » ↩︎
  4. Italie : la politique de Giorgia Meloni a fait chuter l’immigration irrégulière de 60 % en 2024  ↩︎
  5. Giorgia Meloni cultive sa relation avec Elon Musk ↩︎
  6. Italie SpaceX contrat ↩︎
  7. Italie: Giorgia Meloni prend la défense d’Elon Musk ↩︎
  8. ChatGPT-300-millions-d-utilisateurs-hebdomadaires ↩︎
  9. Traduction Georgia On My Mind par Ray Charles ↩︎




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Travaille dans l’industrie des hautes technologies. Il est l'auteur du livre « L'Homo Globalis Numericus » paru aux Editions du Panthéon.

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