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Giorgia Meloni, ou la fin de l’Europe allemande


Giorgia Meloni, ou la fin de l’Europe allemande
Giorgia Meloni, le 26 September 2022, à Rome (Photo: Andreas SOLARO / AFP)

Depuis sa réunification et l’élargissement de l’UE, l’Allemagne domine l’Europe. La victoire de Fratelli d’Italia aux élections législatives marque le réveil des peuples qui veulent en finir avec ces dérives, et qui, surtout, ne veulent pas mourir. L’analyse de deux dirigeants du Millénaire, groupe de réflexion gaulliste spécialisé en politiques publiques.


Avec plus de 26 % des suffrages lors des dernières élections, le succès de Giorgia Meloni dépasse le cadre italien car il témoigne d’une révolte dans l’Union européenne. Celle du réveil des peuples, comme le peuple italien, qui ne veulent plus subir les conséquences de l’Europe de Maastricht et choisissent des dirigeants capables de s’opposer à l’hégémonie de l’Allemagne. Cette élection marque ainsi la fin de l’Europe de Maastricht et, par conséquent, de l’Europe allemande.

Une Europe sous l’influence néfaste de l’Allemagne

Depuis l’adoption du traité de Maastricht en 1992, l’Europe est passée progressivement sous hégémonie allemande. Cette domination s’explique par le double phénomène de réunification et d’élargissement. Avant la réunification, la France, le Royaume-Uni et la République fédérale d’Allemagne faisaient jeu égal. Après la réunification, l’hégémonie allemande s’est imposée par son nombre de sièges au Parlement européen (qui dépend de la démographie), sa prépondérance dans les choix économiques (en raison de ses succès en la matière) et ses alliés dans les institutions européennes. En ce sens, l’élargissement à l’Est a accentué la domination de l’Allemagne qui comptait déjà les pays d’Europe du Nord comme alliés naturels pour cause de proximité idéologique et d’intérêts convergents.

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Au déplacement du centre de gravité de Paris-Bruxelles à Berlin, s’ajoute la perte de souveraineté des États membres avec le traité de Maastricht. Ainsi les politiques monétaire, budgétaire et migratoire des États membres sont contraintes, voire imposées par les institutions européennes. Des institutions où l’Allemagne, pays le plus influent, fait le choix évident de défendre ses propres intérêts et sa vision de l’UE. Dès lors, nous sommes confrontés à un paradoxe. D’un côté, les nations ont renoncé à leur souveraineté et ne sont plus maîtresses de leur destin. De l’autre côté, elles n’ont pas forcément bénéficié d’une solidarité ou de la force de frappe supposée du regroupement à plusieurs pays. Pire encore, dans le cas des pays du sud de l’Europe, les choix politiques de l’Union européenne, inspirés de la politique allemande, ont été en contradiction avec les intérêts de ces pays.

Le cri des peuples qui ne veulent pas mourir

Les Italiens ont exprimé dans leur vote une révolte contre le système européen, jugé trop défavorable à leur égard, notamment sur l’économie et l’immigration. Sur le volet économique, la fronde italienne provient de la gestion de la crise des dettes souveraines à travers une mauvaise politique de la Banque centrale européenne et d’un manque de solidarité européenne qui ont alimenté les spéculations sur la solvabilité de la dette italienne. Face à cela, les institutions de l’UE, sous l’impulsion de l’Allemagne de Merkel, ont recommandé une politique de rigueur qui a conduit à une baisse du niveau de vie des Italiens de 10 % entre 2000 et aujourd’hui.

De l’autre côté, la crise migratoire a été accentuée par l’appel d’air insufflé par Angela Merkel qui a voulu accueillir un million de réfugiés, sans pour autant soutenir l’Italie sur la répartition des migrants en Europe et sur la protection des frontières. L’Italie et la Grèce sont à la fois les plus exposés à l’immigration, les plus en difficulté économiquement et elles doivent fournir des efforts supplémentaires pour protéger les frontières extérieures de l’UE. Ainsi, le nombre d’étrangers a été multiplié par cinq en Italie entre 2000 et 2018 (1,3 à 5,6 millions selon l’ISTAT).

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Pour lutter contre le déclassement économique et civilisationnel, les Italiens ont tout essayé. Face à l’échec des partis de gouvernement, des partis antisystèmes comme le Mouvement 5 étoiles ou la Lega de Salvini, des technocrates européens comme Mario Monti ou Mario Draghi, ils se tournent aujourd’hui vers Giorgia Meloni, la seule à ne pas être entrée dans la coalition d’Union nationale. Meloni a fait aux Italiens désabusés une double promesse : ne pas les trahir – insistant sur le fait qu’elle est issue des quartiers populaires de Rome – et leur offrir un programme de rupture. Ce programme antisystème réussit l’exploit de plaire aussi aux élites économiques italiennes.

Une révolte des pays d’Europe du Sud et de l’Est

Concrètement, l’élection de Giorgia Meloni marque la fin de l’Europe allemande parce qu’elle permet de renverser les rapports de force dans l’Union européenne. Cette bascule peut s’expliquer par trois raisons. Tout d’abord l’Italie, troisième puissance européenne, possède une influence symbolique comme pays fondateur de l’UE. Ensuite, Giorgia Meloni, eurosceptique, ne souhaite pas sortir de l’euro, mais militer pour une réorientation européenne. Et cela pourrait lui permettre de faire le lien entre les différents pays d’Europe du Sud et de l’Est, insatisfaits du cadre actuel.

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Enfin, l’élément le plus important est la défiance à l’égard de l’Allemagne, en raison de ses mauvais choix qui ont conduit l’Europe dans l’impasse. Par sa politique énergétique antinucléaire, elle a condamné l’Europe à la dépendance au gaz russe. Par sa politique économique de libre-échange destinée à maintenir les capacités exportatrices de l’industrie automobile allemande, elle a accéléré la désindustrialisation de l’Europe, incapable de résister à la concurrence déloyale des pays émergents, et conduit à la baisse du niveau de vie des classes moyenne et populaire. Cette gronde anti-européenne – qu’on retrouve dans différents pays – n’est finalement que la contestation d’un système inéquitable piloté par et pour l’Allemagne. Les Italiens, comme d’autres peuples européens, ont exprimé une insatisfaction à l’égard de leurs dirigeants nationaux, mais aussi à l’égard de l’Union européenne. Les transferts de souveraineté ne leur permettent plus d’être totalement maîtres de leur destin sur l’économie et l’immigration et, de plus, certaines politiques européennes ont été faites contre les intérêts mêmes des peuples. Giorgia Meloni, qui vient de balayer la classe politique italienne, doit désormais concrétiser la fin de l’Europe allemande en trouvant des alliés. À ce titre, la France est à la croisée des chemins entre l’Europe du Nord avec l’Allemagne, ou avec l’Europe du Sud, voire de l’Est.

Octobre 2022 - Causeur #105

Article extrait du Magazine Causeur




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