Gilles Antonowicz publie un excellent ouvrage sur son célèbre confrère Maurice Garçon (1889-1967). La singularité d’un homme et d’une œuvre, le talent d’un avocat artiste.
Maurice Garçon a été un immense avocat et aussi, ce qu’on ignorait, un artiste de qualité, un dessinateur de haut niveau. Durant les audiences, tout en écoutant les débats et en intervenant s’il le fallait, il s’amusait à produire des croquis, à croquer des portraits.
Garçon, l’auteur d’une oeuvre
Cette passion n’était pas réservée qu’au monde judiciaire. Il l’exprimait partout, glissant par exemple dans ses courriers des illustrations et parfois comme des bandes dessinées. Le génie de l’avocat était connu et sa place éminente dans le monde des lettres, dans l’actualité brillante de son temps et de tout ce que sa personnalité à la fois si singulière et si riche lui permettait d’embrasser. Un homme, un avocat, un citoyen célèbre, qui n’était désaccordé d’aucun des enjeux de l’époque et dont le courage intellectuel et la liberté de jugement garantissaient la sincérité et la lucidité.
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Il avait rédigé un Journal, destiné à lui seul et dont une partie (1939-1945) a été publiée en 2015 avec un succès considérable. Tant la vision de ce chroniqueur féroce et sarcastique du quotidien, de la politique et de la France sortait de l’ordinaire.
Pour être franc, ébloui par le talent et la justesse de tant de notations, admiratif face à des descriptions et des analyses qui ne s’accommodaient d’aucune hypocrisie, j’avais tout de même été gêné par la méchanceté, la cruauté de l’auteur de ce journal intime et en particulier par sa détestation sans nuance de la magistrature. Il est vrai que le barreau n’était pas épargné non plus.
Cette œuvre, à laquelle rien de l’époque sombre et drolatique à la fois n’était étranger, engendrait, pour son auteur, de l’estime mais aussi une réserve, une considération largement atténuée par la férocité du personnage. Son indiscutable humanisme ne compensait pas tout.
C’est la très grande force du magnifique (au propre et au figuré) livre de Gilles Antonowicz, Maître Maurice Garçon, artiste (éditions Seghers), de remettre les pendules à l’heure, de restaurer, si c’était nécessaire, la perception qu’on pouvait avoir de cette exceptionnelle personnalité, de la montrer certes sous un jour complexe mais toujours stimulant et positif.
Un livre fidèle
Cet ouvrage – il est vrai que Gilles Antonowicz est le grand spécialiste et historien de ces gloires du barreau à l’égard desquelles nos vedettes d’aujourd’hui ne sont pas loin d’être des nains – est à la fois une biographie, avec de multiples entrées constituant un abécédaire complet, et une superbe compilation en couleurs des dessins, croquis, portraits, aventures dessinées et billets d’humeur enjolivés que cet artiste du regard et de la pointe a su merveilleusement ajouter à l’artiste de l’argumentation et du verbe qu’il était. Et reconnu par tous, confrères et chroniqueurs, malgré la jalousie qu’il suscitait et que son caractère indépendant, passant pour hautain, presque sauvage, ne cherchait pas à atténuer.
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Il y a, pour l’ancien avocat général que je suis et le passionné de l’Histoire judiciaire et de l’Histoire tout court, une émotion toute particulière à trouver en ce livre les ressorts et les trésors d’une intelligence, d’une dialectique et d’une éloquence uniques et, à la fois, la désinvolture brillante et ironique d’un œil moqueur et d’une main talentueuse. Un artiste dans tous les sens du terme, une multitude de dons, des plus familiers aux plus solennels.
François Sureau a écrit une très belle et dense préface où il met en lumière deux traits qui ne sont pas contradictoires dans l’être rare qu’était Maurice Garçon : un réel pessimisme sur la nature humaine, accordé avec une volonté de servir le Bien, la Vérité et la Justice. J’incline à penser que, sans paradoxe, les plus grands pessimistes sont aussi les plus fidèles serviteurs des valeurs et des principes sans lesquels la Justice serait mort-née.
Antonowicz a défendu “l’appât” du Gang des barbares
Le hasard, qui peut nous surprendre agréablement, vient de me livrer un autre livre de Gilles Antonowicz: Isorni – les procès historiques (Les Belles Lettres). J’ai eu la chance, au début de ma carrière, de batailler avec Isorni, cet avocat exalté et sans peur, une figure respectée par le barreau. Je m’étais servi de lui, si j’ose dire, pour mon livre sur Robert Brasillach dont il avait été le conseil à la fois intrépide et inutile puisque la cause était entendue, et la mort avec elle. La biographie de Jacques Isorni par Gilles Antonowicz demeure une référence.
Gilles Antonowicz lui aussi a été un avocat intègre, libre et courageux, notamment dans l’affaire du Gang des barbares où il défendait, avec une consœur, « l’appât ». Il a écrit sur ces procès (en première instance et en appel) le seul ouvrage informé et objectif : L’affaire Halimi.
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Alors qu’il est devenu exclusivement écrivain, historien, je n’ai aucun scrupule à rendre hommage sincèrement à ses deux derniers livres, tant certains des précédents – par exemple, le très remarquable L’Enigme Pierre Pucheu, ont fait l’objet d’un ostracisme qui n’honore pas la critique officielle française. Pour cette dernière à l’évidence, il faut non seulement être historien mais choisir les « bons » sujets. L’Histoire mais pas n’importe laquelle !
Mais à la fin de ce billet, m’imaginant dans l’espace infini de la mort et de la vie, dans cette éternité brassant anonymes et glorieux, je n’ai qu’une envie : faire signe à « Garçon, pour une plaidoirie et un croquis, s’il vous plaît » !
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