Loin de réclamer la sollicitude des pouvoirs publics, nombre de « gilets jaunes » déplorent le coût et les excès de zèle d’un appareil administratif qui régente chaque année un pan supplémentaire de leur existence. Reportage à Quimper.
24 octobre. Ghislain Coutard, technicien spécialisé âgé de 36 ans, vivant à Narbonne, poste sur Facebook une vidéo proposant aux automobilistes de protester symboliquement contre la hausse des carburants, en posant en évidence sur le tableau de bord le gilet jaune de sécurité, obligatoire depuis 2008.
Trois semaines plus tard, la vidéo a été visionnée plus de 5 millions de fois. Relayé par les réseaux sociaux puis les médias, l’appel du gilet jaune s’est transformé en mouvement de masse inédit. Pas de leader, pas d’organisation pour l’encadrer, pas de liste officielle de revendications, mais une popularité énorme. De sondage en sondage, sept à huit Français sur dix déclarent leur sympathie pour les « gilets jaunes ». Un appel à manifester partout en France le samedi 17 novembre se diffuse spontanément. Des collectifs formés à la hâte déposent des demandes en préfecture. Au fil des jours, il devient évident que les manifestants seront nombreux.
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À Quimper (Finistère), le 17 novembre, les premiers « gilets jaunes » convergent dès 9 h du matin vers la place de la Résistance, où se trouve la préfecture. Certains portent aussi le bonnet rouge, signe de ralliement de la fronde de 2013 contre l’écotaxe. La filiation entre les deux mouvements est souvent soulignée. Rodés par des décennies de manifestations de paysans, les services municipaux ont retiré les jardinières des ponts. Elles font des projectiles dangereux. Signe qu’on n’attend pas non plus des débordements inouïs, les abribus n’ont pas été démontés. Les premières heures de la matinée sont irréelles. Les « gilets jaunes » se regardent, étonnés. Nés sur les réseaux sociaux, ils se découvrent en chair et en os, comme un couple à un premier rendez-vous Meetic.
Le petit club des SDF quimpérois participe de bon cœur. L’un d’entre eux a enfilé un gilet jaune à son chien. Aucun parti et aucun syndicat n’a tenté la récupération. La foule, qui grossit d’heure en heure, va de la préfecture à la mairie et revient, sans consigne. Les manifestants ne portent aucun sigle, à part les gilets jaunes. Les drapeaux bretons sont de sortie, sans qu’il faille y voir une revendication régionaliste (concert, match de foot ou Tour de France, les Bretons adorent agiter leur Gwenn ha Du). Les pancartes et les banderoles, bricolées avec les moyens du bord, parlent de racket fiscal, demandent le rétablissement de l’ISF et appellent Macron à la démission. Pas un mot sur la hausse des taxes sur le gasoil, catalyseur présumé de la colère. « Il n’y a pas de moto au gasoil », soulignent sobrement Franck et David, appuyés sur leurs grosses cylindrées, gilet jaune par dessus le blouson renforcé. Derrière eux, un autre motard fait rugir son moteur. Pourquoi sont-ils venus ? « On en a marre. On a eu les radars, le 80 km/h, et maintenant on nous parle d’un permis supplémentaire et d’un contrôle technique pour les motos en 2019. Ça suffit. »
L’encombrante sollicitude administrative
Jean-René, quant à lui, est restaurateur à Edern, à quelques kilomètres de Quimper. La soixantaine, gilet jaune et bonnet rouge, il est volubile. « Je travaille dur, je gagne moins qu’il y a vingt ans et j’ai un fils qui entre en école de commerce à Bordeaux. Je suis fier qu’il se bouge et fasse des études – moi je suis parti travailler dans le Minnesota
