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Gilets jaunes : recherche PS désespérément


Gilets jaunes : recherche PS désespérément
Olivier Faure, Premier secrétaire du PS, 2018. Sipa. Numéro de reportage : 00852276_000032

Incapable de relever les défis de la mondialisation, le Parti socialiste est inaudible face aux revendications des Gilets jaunes. Quoi d’étonnant pour un mouvement archaïque qui n’a jamais fait son aggiornamento social-démocrate?


 

A part les leçons de François Hollande au président Macron, du plus mauvais goût au demeurant, on n’a guère entendu la voix du Parti socialiste durant ces longues semaines de révolte des Gilets jaunes. Certes, à certains égards, on peut comprendre que le PS fasse profil bas. Car enfin, la morgue du pouvoir actuel n’est qu’une exagération du mépris de classe manifesté de longue date par les gouvernements précédents, y compris ceux de gauche. L’abandon de la classe ouvrière par les socialistes au profit des « exclus » n’est pas un phénomène récent, Marcel Gauchet en signalait déjà les dangers dans les années 80. Et la technocratie grotesquement stigmatisée aujourd’hui par la macronie alors même qu’elle en constitue la fine fleur, était déjà la marque du PS depuis les années 70.

Introuvable social-démocratie française

Par ailleurs empêtré dans ses alliances, le Parti socialiste d’Epinay n’a jamais adopté l’option social-démocrate, c’est-à-dire ce projet politique à la fois ambitieux et pragmatique de transformation sociale visant à une répartition équitable des richesses nationales et partant à une réduction radicale des écarts de revenus. Jusque dans les années 2000, la Suède qui avais mis en œuvre dès les années 30 des politiques sociales-démocrates, restait le pays des plus faibles inégalités sociales dans un contexte d’Etat-providence et de société de consommation de masse. La social-démocratie, c’était le refus du fantasme de l’abolition du capitalisme mais en se donnant un but à la fois plus exigeant et plus réaliste : réguler le capitalisme en en tirant les meilleurs profits pour tous, sans casser la dynamique productive de l’économie de marché qui s’est révélée dans l’histoire de l’humanité un des moteurs de la modernité et du progrès humain.

François Hollande empêcha à son tour l’aggiornamento social-démocrate du PS français. Comme le disait Michel Rocard dans une de ses toutes dernières interviews,  « s’il fallait désigner le tueur du socialisme… il s’appelle François Mitterrand », et on peut poursuivre en affirmant que François Hollande en a été le fossoyeur. Certes, un an avant la fin de son quinquennat, François Hollande a pourtant semblé faire son  « coming out »  social-démocrate. Mais, trop tardive pour être fondatrice, improvisée et répondant manifestement à la nécessité de voler cette image à la fois à Manuel Valls et à Emmanuel Macron qui jouaient eux aussi faussement sur ce registre, cette conversion insincère sera nulle et non avenue.

De l’oligarchie en contexte mondialisé

Or, c’est de cela qu’il est question au fond avec les Gilets jaunes : la thématique des inégalités sociales et avec elle, celle de la ré-oligarchisation de nos sociétés mondialisées. Mais il n’est plus question aujourd’hui de tenter un vain retour au projet historique social-démocrate. S’il s’agit bien d’en retrouver l’esprit, c’est à travers de nouveaux instruments qu’il faudrait le mettre en œuvre. Car dans la phase actuelle, le capitalisme est plus que jamais international et financiarisé et surtout se trouve pour la première fois de son histoire déconnecté du cadre étatique.

La croissance démographique mondiale combinée avec les innovations technologiques rend l’offre de travail excessive et dévalorisée, tandis que le capital ne cesse de se concentrer et de se valoriser. La redistribution directe du capital vers le travail par les augmentations de salaires et les améliorations des conditions de travail et d’assurances sociales ne se réalise plus qu’à minima dans les PME nationales, mais de moins en moins dans les entreprises transnationales déterritorialisées. Privés de leur moyens de contrôle économique par la libéralisation des flux de capitaux, les Etats s’épuisent dans une redistribution indirecte de plus en plus destinée aux seuls « exclus » et  essentiellement financée par l’impôt des classes moyennes en voie de paupérisation et des PME « piégées » dans le cadre national. Le développement continu de flux migratoires vient par ailleurs augmenter la masse des assistés à la charge des Etats d’accueil.

Ces grandes tendances de la phase actuelle de la mondialisation sont volontiers présentées comme inéluctables voire désirables par les producteurs des référentiels partagés (c’est-à-dire, dans les mots de l’ancien monde, l’idéologie dominante). De même que l’on nous vante la gouvernance et la théorie du ruissellement, comme jadis la main invisible du marché et l’Etat minimal, on nous incite, nous autres rétrogrades et ignorants à nous en remettre à la globalisation telle qu’elle se fait et à ses chantres qui en sont paraît-il les experts. D’ailleurs, les gouvernants ont cessé de gouverner pour se complaire dans des discours démagogiques sur leur proximité avec le peuple, et/ou des raidissements autoritaires qui sont autant de masques de leur lâche impuissance.

La stratégie du pourrissement

Alors, c’est l’imaginaire révolutionnaire qui est réactivé par la mobilisation des Gilets jaunes. La Révolution française bien sûr est évoquée, et sans surprise « 1968 » vient s’inscrire sur les drapeaux français brandis par certains dans les manifestations entre les deux dates « 1789 » et « 2018 ». 68, révolution prolétarienne fantasmée mimant la résistance au nazisme, confondant République et « Etat policier ». Pourtant, les Gilets jaunes ne sont majoritairement ni jeunes, ni bénéficiaires d’une période de croissance, ni revendicatifs joyeux de libertés individuelles nouvelles.

Les ressorts de la mobilisation sont bien davantage la paupérisation, la peur du déclassement, le sentiment d’injustice, le ressentiment, l’insécurité culturelle. Mais le mouvement de revendication d’aujourd’hui si différent soit-il de celui d’il y a cinquante ans, a  cependant en commun avec son antécédent, une certaine fascination pour la violence révolutionnaire. On retrouve en effet cette volonté d’occuper physiquement des espaces pour un temps illimité dans le but de faire céder (au sens propre du terme) le pouvoir en place, non pas en vue d’une négociation et donc dans la recherche d’un compromis, mais dans le but de mettre à bas l’ordre établi et de faire démissionner le président.

Bien que ce soit fort difficile, il est pourtant indispensable d’assumer au contraire une stratégie progressive travaillant la fois à la consolidation de l’Etat de droit au niveau des Etats, et à la construction et/ou la redéfinition de structures  de coordination et de politiques communes (interétatiques, transnationales ou supranationales selon les objectifs concernés). Hélas, leur renoncement à affronter ces défis, a depuis de longues années, contribué à disqualifier le mouvement socialiste international et tout particulièrement les socialistes et sociaux-démocrates européens. Pourtant, cette mission leur reviendrait tout naturellement. Mais encore leur faudrait-il le courage le désintéressement et la modestie, autrement dit ce que l’on appelait dans l’antiquité la vertu, qui ni ne se décrète arbitrairement ni se décide démocratiquement…

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Philosophe et politologue. Présidente du CECIEC. Membre de Dhimmi Watch et de l’Observatoire des idéologies identitaires. Dernier ouvrage paru : "Cinquante nuances de dictature. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs". Éditions de l’Aube 2023

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