Quoi qu’il advienne du mouvement après le discours d’Emmanuel Macron, les gilets jaunes ont prouvé que la France bougeait encore. Incapables de se résigner et de se contenter de trop peu, ils ont exalté les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité du peuple français et offert à la France une opportunité de se renouveler.
Je sais, bien sûr, les débordements inacceptables, les propos irresponsables et les violences criminelles, les minorités d’abrutis et l’ivresse dangereuse de la foule. Je sais les tentatives de récupération, les bavures, les maladresses, les extrémistes infiltrés, les casseurs, le dédain à peine voilé d’une élite auto-proclamée, le laxisme envers les vrais délinquants et la sévérité envers « monsieur tout-le-monde », les idéologues en fauteuil, ceux qui dénoncent les extrêmes mais montrent toujours une indulgence coupable envers l’extrême gauche. Je sais ceux qui parlent trop et ceux qui n’ont pas le courage de parler, ceux qui confondent vision politique et gestion à la petite semaine, ceux qui jettent de l’huile sur le feu par ivresse du chaos ou par calcul cynique, ceux qui noient les exigences légitimes dans des revendications infantiles, ceux qui se délectent de rumeurs absurdes et ceux qui hurlent aux « fake news » pour faire taire tout ce qui leur déplaît, ceux qui ont poussé à la violence pendant des décennies à force de ne pas écouter les demandes pacifiques mais d’acheter la paix sociale face aux brutes.
A lire aussi: La révolte des gilets jaunes n’est pas seulement antifiscale
Je sais le visage défiguré de l’Arc de Triomphe, qu’il ne faudra jamais effacer de nos mémoires parce qu’il nous rappelle deux leçons fondamentales : la première, que seul le peuple est souverain ; la seconde, que cela ne lui donne pas tous les droits, car sa souveraineté est seulement présente, à la fois légitimée et contrainte par sa dette envers le passé et son devoir envers l’avenir.
Un peuple qui tape du poing sur la table
Et malgré tout, aujourd’hui, je suis fier de mon pays et de mon peuple.
Fier de ces gilets jaunes qui ne se résignent plus à subir. Qui, de la manière la plus inattendue, recréent du lien social et tissent d’improbables amitiés sur les ronds-points, qui déjouent les pièges grossiers des tentatives de récupération, qui savent encore plaisanter avec les forces de l’ordre, qui ne lâchent rien mais dans la très grande majorité des cas savent se tenir à l’écart des violences et des destructions absurdes. Ils sont la dénonciation de fautes structurelles, et ne se contentent pas de réponses conjoncturelles. Ils ont décidé de ne plus être les rouages d’un système qui les dédaigne, mais de redevenir un peuple libre. Un peuple qui ose enfin taper du poing sur la table pour rappeler à l’ordre ceux qui ne sont que ses serviteurs mais ont prétendu être ses maîtres – maîtres politiques ou maîtres à penser, des maîtres lâches qui veillent toujours à échapper aux conséquences négatives de leurs décisions et des beaux principes qu’ils disent défendre. Ils sont un peuple qui ne tolère plus que soit sacrifié ce qu’il voudrait transmettre aux générations futures, qu’il s’agisse de sa culture, de ses valeurs, du fruit de son travail ou simplement de sa liberté. Les gilets jaunes ne sont pas indifférents à l’avenir de la planète, mais veulent rappeler à l’État que son rôle est de préserver avant tout l’avenir de leurs enfants.
Fier de ces hommes et de ces femmes, de ces policiers et gendarmes
Fier de ces hommes et de ces femmes, avec ou sans gilet jaune, jeunes ou vieux, qui ont protégé la tombe du soldat inconnu. Ils sont de bords politiques différents, de milieux sociaux variés, d’origines diverses, mais unis par le sens de la gratitude et de l’honneur, le respect du courage et des sacrifices. Unis aussi, sans doute, par l’intuition que cet anonyme qui repose sous l’Arc de Triomphe est mort pour la France en la voulant telle que les gilets jaunes l’appellent à être, forte et capable de protéger les siens. France d’un peuple souverain dont les habitants peuvent vivre dignement de leur travail, France qui peut compter sur le dévouement des humbles soldats comme des généraux, des petites gens comme des gouvernants.
A lire aussi: Et au milieu du chaos, les gilets jaunes protègent une DS blanche
Fier de ces dizaines de milliers de policiers et de gendarmes qui gardent leur sang-froid et leur professionnalisme malgré l’épuisement, qui discutent, négocient, expliquent, et se rappellent toujours que leur mission est autant de protéger les manifestants que de les empêcher d’aller trop loin. N’oublions pas qu’ils ont, au fond, exactement la même sociologie que la grande majorité des gilets jaunes… Et lorsqu’un groupe de casseurs met leurs vies en danger en lançant des bonbonnes de gaz dans les flammes, lorsqu’ils parviennent à les maîtriser sans faire de blessés, lorsque certains qui sont bien à l’abri des casseurs se permettent pourtant de leur faire des reproches, ils continuent leur mission. Et ils continueront encore à prendre des risques pour protéger même ceux qui les sifflent.
Fier de certains maires, journalistes et intellectuels
Fier de ces millions de Français qui soutiennent encore et toujours les gilets jaunes, malgré la gêne que ce mouvement leur impose au quotidien. Ces millions de Français qui prouvent qu’ils ne sont pas que des consommateurs égocentriques du monde, mais qu’ils respectent la volonté de défendre l’intérêt général lorsqu’ils jugent qu’elle est une détermination authentique à agir pour le bien de tous, et non pas un simple prétexte à des revendications corporatistes ou à la défense d’intérêts à peine voilés de beaux discours.
Fier de ces élus qui vont à la rencontre des uns et des autres, discrètement et loin des médias, parce qu’ils recherchent des dialogues sincères et non une publicité électorale. Ils veulent écouter les gens par souci de loyauté et non par calcul. Ils sont la dignité de la démocratie, ces élus locaux ou nationaux qui n’essayent pas de profiter d’un mouvement populaire pour se mettre en avant, mais tentent juste de servir leur peuple. Il y a ces députés, qui ont le sentiment que l’Assemblée n’est plus qu’une chambre d’enregistrement et que les consignes des partis ont remplacé les débats et le sens des responsabilités, mais qui continuent à défendre leurs convictions. Il y a ces maires, ces « petits maires » qui ont une authentique grandeur, qui font vivre la démocratie à l’échelle où elle a été inventée, dans les liens sociaux du quotidien et les projets qu’il faut porter à bout de bras. Tous les élus ne sont pas comme eux, ce qui rend ceux-là d’autant plus précieux : sans leur dévouement et leur droiture, la République s’effondrerait.
A lire aussi: Gilets jaunes: il n’y a pas que les politiques qui doivent ouvrir les yeux…
Fier de ces intellectuels qui essayent de comprendre plutôt que de juger, et qui se soucient de rechercher la vérité plutôt que de donner des leçons. Qui refusent le simplisme sans faire de la complexité du monde une excuse pour prétendre que rien ne serait possible. Qui rappellent que le peuple est toujours légitime, sans faire semblant de croire qu’il a toujours raison. Alain Finkielkraut, Denis Olivennes, Philippe Genestier, Christophe Guilluy, Alain Supiot, Monseigneur Ginoux, Erwan Le Morhedec, Céline Pina, Michel Goya…
Fier de ces journalistes qui ont, eux aussi, le souci de la vérité et encouragent les gens à penser par eux-mêmes, plutôt que de prétendre penser à leur place en leur assénant ce qu’il faut penser. Alexandre Devecchio, Etienne Girard, Eugénie Bastié, Natacha Polony… et je n’oublie pas la patronne !
Fier de ces inconnus qui refusent autant la rage que l’indifférence, et à longueur de tweets et de messages Facebook choisissent l’humour véritable plutôt que le cynisme méprisant.
Ces hommes et ces femmes appartiennent tous à la même France. Je ne saurais pas la définir, mais je sais que depuis des semaines elle prouve sa vitalité et retrouve son sens d’elle-même, au grand dam de ceux qui proclamaient sa disparition inévitable et s’en réjouissaient.
Les Français ne sont pas une « peste brune »
J’ignore évidemment ce qui viendra après les gilets jaunes. Je crains la violence des phénomènes de foule, indignes d’un peuple qui se dresse pour reprendre son destin en main. Je crains que des racailles ivres de haine et avides de pillages profitent de l’occasion pour semer le chaos. Je crains le noyautage et la manipulation, notamment par l’extrême gauche. Je crains que des casseurs endoctrinés et des idéologues ne finissent par récupérer et décrédibiliser un mouvement d’abord légitime. Je crains la tentation pour le pouvoir de choisir le mépris, plutôt que d’accepter de remettre en cause ses habitudes ou ses certitudes. Je crains le « retour à la normale » comme si de rien n’était, trahison qui nourrirait d’encore plus de rancœur et de méfiance la prochaine crise.
A lire aussi: Elisabeth Lévy – Paris et le geyser français: mon week-end entre deux barricades
Je crains ces dangers, mais j’espère. Car la meilleure réponse au danger a toujours été le courage, et nombreux sont celles et ceux qui ont prouvé ces dernières semaines qu’ils n’en manquent pas, et qu’ils ont aussi le sens du bien commun et la soif d’humanité qui font que le courage évite la brutalité pour atteindre la noblesse.
Les Français ne sont certainement pas une « peste brune », même s’ils ne sont pas non plus un idéal romantique. Ni une foule sinistre, ni une vague purificatrice. Ils sont mon peuple. Gaulois réfractaires peut-être, Gaulois courageux aussi. Hommes et femmes qui sont prêts à partager mais pas à être exploités, qui acceptent de faire des sacrifices pour l’avenir mais ne toléreront plus que leurs propres enfants soient exclus de cet avenir. Hommes et femmes qui veulent vivre et non survivre. Alors vivent les Français ! Vive la France !
J’ai écrit ce texte le 9 décembre, la veille des annonces d’Emmanuel Macron. Il me semble toujours valable, mais je souhaite le compléter par des suggestions concrètes. Je ne prétends pas avoir les connaissances ni les compétences pour savoir précisément ce qu’il faudrait faire, mais quatre pistes structurelles me sembleraient aujourd’hui bienvenues, ainsi qu’une proposition conjoncturelle.
- Lutter avec une très grande fermeté contre l’évasion fiscale illégale, et mettre fin aux moyens légaux d’évasion fiscale. Au passage, renforcer le contrôle des flux de capitaux est aussi une nécessité pour combattre le financement du terrorisme et les réseaux mafieux.
- Sauf cas exceptionnels (problèmes de santé et garde d’enfants en bas âge notamment), exiger de tous les bénéficiaires des minimas sociaux qui ne travaillent pas, une journée par semaine d’engagement dans une association d’intérêt général. La solidarité découle de la fraternité, qui n’est pas et ne peux pas être à sens unique. Les besoins sont immenses, je pense en particulier à l’aide aux personnes âgées ou handicapées. Ces deux mesures combinées assureraient la participation de chacun aux efforts collectifs, selon ses possibilités, et montreraient que dans la citoyenneté les droits et les devoirs sont indissociables.
- Modifier la composition de l’Assemblée en distinguant :
– la représentation des territoires pour 50 % des sièges, selon le mode de scrutin actuel et avec un véritable contre-pouvoir accordé aux provinces face à Paris
– la représentation des partis et courants politiques pour les autres 50 %, avec une stricte proportionnelle et des listes nationales.
- J’ose croire que Jean-Michel Blanquer et Souâd Ayada s’y emploient déjà, mais ce point est trop important pour ne pas le répéter : rendre l’école de la République à elle-même pour qu’elle redevienne l’école de l’excellence pour tous, et non de la médiocrité pour tous. Aujourd’hui, même les enfants des riches et des savants n’apprennent plus qu’à bafouiller des slogans ineptes et à déchiffrer des livres simplifiés. Même les enfants des plus pauvres doivent apprendre à raisonner avec rigueur, et à déclamer avec élégance les plus beaux textes de notre littérature.
- Charger une personnalité impartiale et compétente de l’organisation d’une consultation nationale, de la formulation de propositions de fond, et ensuite du suivi et de l’évaluation de leur mise en application. Le nom de Pierre de Villiers vient évidemment à l’esprit.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !