Bis repetita… non placent. Samedi, en marge de l’acte XIII des gilets jaunes, des militants antifascistes violents – pléonasme ou oxymore ? – ont attaqué La Nouvelle librairie aux cris de « Paris, Paris, Antifas, la Nouvelle Librairie, c’est les antisémites, qui invitent Zemmour » (sic). Cible de choix, ce bastion culturel de droite au cœur du quartier latin est géré par François Bousquet, par ailleurs rédacteur en chef du magazine Eléments. Pour Causeur, cet esprit aiguisé raconte le déroulement des événements et commente l’actualité politique.
Daoud Boughezala. Samedi, la Nouvelle librairie a une nouvelle fois subi les assauts de militants antifas. Que s’est-il exactement passé ?
François Bousquet. Une bande d’antifas a profité de l’acte XIII des gilets jaunes, samedi dernier, pour se glisser une nouvelle fois dans la manifestation parisienne, multipliant les exactions. Quand le cortège a descendu la rue de Médicis en direction du Sénat, il est passé devant notre librairie, située au 11 de la rue de Médicis. L’occasion était trop belle pour des antifas pressés de marquer leur territoire. Car ils ont beau se proclamer « No border », ils tiennent aux frontières pour peu qu’ils les établissent. Et on a compris que le Quartier latin était « leur » propriété. C’est ce qu’ils nous ont brutalement fait savoir ce samedi, vers 14 h 35. Des antifas cagoulés ou casqués – une centaine au vu de nos vidéos – ont alors attaqué, caillassé et dégradé la devanture de la librairie aux cris parfaitement synchronisés de « Paris, Paris, Antifas, la Nouvelle Librairie, c’est les antisémites, qui invitent Zemmour » (sic). La curée à défaut de la cohérence ! Les plus timides ont jeté et éparpillé nos livres sur le trottoir, les plus audacieux ont tenté de s’introduire dans la librairie, jusqu’à ce qu’une dizaine de CRS les disperse. Le sang-froid de notre libraire – qui, au passage, a essuyé plusieurs coups de matraque télescopique sur la tête – a permis d’éviter un drame humain plus lourd en prenant l’initiative d’évacuer en urgence la petite dizaine de clients, sous les jets de bouteilles et de blocs de goudron. Les dégâts matériels sont considérables : vitrines cassées, porte d’entrée dégradée, etc.
Un gilet jaune : « Je vous boycotte, mais je ne veux pas que les antifas cassent votre librairie ! »
Comme vous le soulignez, cette journée coïncidait avec un nouvel acte de mobilisation des gilets jaunes. Quelle a été l’attitude des manifestants présents aux abords de la librairie ?
La même attitude que celle qu’on a pu voir jusque-là, dans toutes les villes de France, face à la violence des antifas et des casseurs : des gilets jaunes se sont tant bien que mal interposés. Sans leur intervention, les dégâts auraient été encore plus lourds, non seulement parce que ce sont deux gilets jaunes qui ont prévenu notre libraire de l’arrivée imminente des antifas, mais aussi parce qu’une poignée d’entre eux a défendu la librairie. J’en veux pour preuve que, dix minutes après le premier assaut, un antifa convulsif et retardataire a démoli la porte de la librairie. Il faut dire qu’il était muni d’une pelle de chantier – à lui tout seul, la pelle et la bête. Heureusement, notre libraire a pu lui arracher. Un cordon d’une dizaine de gilets jaunes a alors sécurisé les lieux. L’un d’entre eux nous a même confié : « Je vous boycotte, mais je ne veux pas que les antifas cassent votre librairie ! »
Je sais bien que tous les goûts sont dans la nature et que les couleurs ne se discutent pas, mais le noir des antifas sied très mal à la fluorescence des gilets jaunes, tenue pour le moins inhabituelle chez eux. Le symbole auquel cette mouvance est attachée, c’est plutôt le gilet de sauvetage des migrants en Méditerranée. L’Autre, le tout autre, ce que le romancier Jean Raspail a appelé « Big Other ». Le sort des classes populaires et des classes moyennes inférieures blanches est bien le dernier de leurs soucis. En cela, ils sont pareils aux socialistes. Rappelez-vous le rapport Terra Nova de 2012 « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ». En vérité, cela fait trente ans que la gauche a renoncé à la « coalition historique » avec les catégories populaires pour se réfugier dans les bras des minorités. La crise actuelle en est la conséquence. Voir tout ce monde-là se pavaner aujourd’hui dans les manifestations aux côtés des Gilets jaunes ne trompe personne.
En dehors de Macron, peu d’hommes politiques s’ingèrent à ce point dans les affaires intérieures vénézuéliennes, tancent Poutine, fustigent Assad et défient les populistes.
Justement, dans son dernier numéro, Éléments consacre un long dossier au populisme italien. La semaine dernière, le gouvernement français a rappelé son ambassadeur à Rome après que le ministre du Travail Luigi di Maio a rencontré et exprimé son soutien à une délégation de gilets jaunes. Condamnez-vous cette ingérence dans la politique hexagonale ?
Logiquement, on devrait s’en indigner. Dans un monde gouverné par l’ancien ordre international, celui de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale, la règle unanimement partagée imposait à chacun le refus de toute ingérence étrangère dans les affaires intérieures des autres. Mais il se trouve que Luigi Di Maio ne s’est pas invité n’importe où, il s’est invité dans la France d’Emmanuel Macron, un président tapageusement interventionniste qui fait briller à l’étranger notre meilleur article d’exportation : la moraline. C’est si vrai qu’il ne rate jamais une occasion de s’adresser à la terre entière, urbi et orbi, comme s’il était le grand pontife des droits de l’homme que la terre entière attendait depuis la mort de J. F. Kennedy. Cherchez bien, il n’y en a pas beaucoup, des hommes politiques, qui s’ingèrent à ce point dans les affaires intérieures vénézuéliennes, tancent Poutine, fustigent Bachar Al-Assad et défient les populistes, de Viktor Orbán à Matteo Salvini. On n’attendait plus que le retour de bâton. Qu’il soit venu d’un ministre provenant du Mouvement 5 étoiles, si proche des gilets jaunes, ajoute du piquant à la situation. Chassez le naturel, il revient au galop. Macron est ainsi fait qu’il ne peut s’empêcher d’être, à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières, donneur de leçons et prédicateur sentencieux. Au fil des mois, nous découvrons ainsi qu’il n’est pas seulement enfermé dans son bunker de l’Élysée, mais aussi dans un autisme sans issue, un aveuglement narcissique et une verticalité hautaine. La France c’est lui, l’Europe aussi, alors que ni la France ni l’Europe ne sont le moins du monde d’accord avec lui.
Le conservatisme n’a pas de réponse à apporter à la casse sociale dont les gilets font les frais
Terminons sur une note franco-française. Les Républicains ont investi l’essayiste conservateur François-Xavier Bellamy tête de liste aux européennes de mai. Quelques jours plus tôt, Marine Le Pen annonçait le ralliement de l’ancien ministre sarkozyste Thierry Mariani à la liste RN. A l’heure des Gilets jaunes, le divorce entre électeurs populistes (RN) et conservateurs (LR) est-il consommé ?
Dans la séquence actuelle, les deux électorats s’éloignent. L’électorat conservateur se polarise et s’organise autour de la Manif pour tous, dont François-Xavier Bellamy procède. L’électorat populiste se dilate et se solidifie à la chaleur des gilets jaunes. Et de fait, le conservatisme n’a pas de réponse à apporter à la casse sociale dont les gilets font les frais depuis une trentaine d’années. À trop se focaliser sur les enjeux sociétaux (les biotechnologies de la filiation, la théorie du genre…), secondaires dans la France périphérique, les conservateurs – et singulièrement les conservateurs catholiques – ont fini par se convaincre que l’ISF était un impôt injuste et la répartition des richesses une toquade marxiste. Pire qu’un crime, une faute politique ! Le conservatisme catholique d’un Frédéric Le Play, au XIXe siècle, était aux antipodes de cette avarice spirituelle. Je crois qu’on peut appliquer au conservatisme bien compris, celui d’un Le Play par exemple, ce que Louis Dumont a dit de la droite, à savoir que le conservatisme a toujours été puissant sur le plan empirique, pour la raison qu’il est « en charge de tout l’existant social ». Autrement dit, la mission des conservateurs a toujours été de protéger la société contre les risques d’entropie et de désagrégation sociale qui pèsent sur elle (et la répartition des richesses en est un). Mais le conservatisme n’est pas porteur d’espérance. C’est sa faiblesse politique. Ce qui lui interdit d’être populaire, sinon populiste. Dans ces conditions, difficile de concilier – ou de réconcilier – les conservateurs et les populistes, tant les premiers font d’abord le pari des élites contre le peuple ; et les seconds, le pari du peuple contre les élites. L’impasse politique actuelle vient en partie de là. Elle interdit toute possibilité de front populiste (par-delà la droite et la gauche) en France, à la différence de l’Italie, et rend impossible une coalition populiste-conservatrice. Or, sans cette convergence des populismes de droite et de gauche d’une part, et des conservatismes de gauche et de droite d’autre part, Macron, ou son successeur, a de fortes chances de se maintenir au pouvoir, quand bien même son élection ou sa réélection serait contracyclique (Marcel Gauchet). Nous voilà prévenus.
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