On pourrait croire la population de la petite colonie britannique située à la pointe sud de la péninsule ibérique résolument attachée à l’Union européenne. Ce petit paradis – pas uniquement fiscal – tire une partie de ses revenus des échanges avec l’Espagne et les liens tant familiaux que personnels sont très nombreux avec ce pays. Mais, depuis le début de la campagne entre les in et les out, c’est-à-dire entre les partisans et les adversaires du maintien du Royaume-Uni dans l’UE, les choses ne sont pas si simples. On retrouve dans ce confetti d’empire la division assez nette entre peuple et élites.
Au cœur de la cité-État, les in ont dû se résoudre à ouvrir une permanence de campagne. Fabian Picardo, le Chief minister du gouvernement de Sa Gracieuse Majesté, et ses deux principaux opposants ont cru bon de l’inaugurer ensemble – pour le bien, pensent-ils, du Royaume-Uni et de ses derniers dominions. À travers la documentation remise au chaland qui entre dans le local l’argumentaire déployé ne fait pas dans la nuance : un Brexit nuirait aux capacités d’exportations du territoire britannique en compliquant le recrutement de travailleurs au sein du vaste hinterland espagnol.
On parle donc gros sous aux électeurs. A cet égard, les représentants du secteur financier, regroupés au sein d’un Gibraltar Finance Center Council (GFCG) sont de ceux qui ont le plus à perdre. L’un d’entre eux nous confie que l’éclatement du cadre juridique européen risque de coûter cher et de détourner de nombreux clients potentiels du Rocher.
Dans une lettre adressée au 10 Downing street, le gouvernement local presse le gouvernement britannique de négocier un statut spécial d’association entre Gibraltar et l’Union européenne en cas de Brexit. Le document rappelle l’importance de garantir l’accès au marché unique aux secteurs des services financiers, des assurances et des jeux d’argent en ligne européens.
La colonie britannique pourrait aussi voir remis en cause le bénéfice du régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents auquel leur donne droit une directive européenne de 2003. La presse londonienne s’est ainsi inquiétée des pertes financières imputables à un éventuel Brexit – sans toutefois les chiffrer précisément.
L’argument massue utilisé contre les partisans du out fait entrevoir derrière le Brexit la radicalisation du vieux conflit séculaire avec l’Espagne. La souveraineté britannique sur le Rocher est depuis toujours contestée par Madrid. José María Margallo, le ministre espagnol des Affaires étrangères, s’est récemment empressé de le rappeler, dans un entretien à El País. Certains, même, n’hésitent pas à évoquer le spectre d’une nouvelle fermeture de la frontière terrestre avec l’Espagne – comme cela avait été le cas entre 1969 et 1982. L’Espagne pourrait aussi bloquer toute négociation d’un statut particulier, Gibraltar n’étant pas reconnu par les partenaires européens du Royaume-Uni comme un État séparé.
Le Gibraltarien de la rue, lui, reste de marbre, face aux arguments économiques – quand bien même les emplois d’un grand nombre des 23 000 électeurs du Dominion dépendent de ces derniers – ou aux menaces les plus outrancières. On ne dispose, certes, d’aucun sondage d’opinion. Mais un rapide micro-trottoir nous indique que les out sont tout aussi sensibles à la défense de l’argument de la souveraineté de la « mère-patrie » que les autres eurosceptiques britanniques.
De manière très significative, la Gibraltar Federation of Small Business, qui parle habituellement au nom des petits entrepreneurs, se refuse à choisir entre les in et les out. Seule sa présidente, à titre personnel seulement, s’est engagée dans le camp du in.
Comme tout bon politicien, le Chief minister sent déjà le vent du boulet. Il ne néglige donc, en parallèle à sa campagne pour le in, aucune voix susceptible de garantir une coexistence harmonieuse avec l’Espagne en cas de sortie de l’UE.
Mi-avril, Fabian Picardo a, du reste, été reçu avec tous les honneurs par José María González, le nouveau député-maire Podemos de Cadix. Tous deux de gauche, ils se sont probablement trouvé quelques affinités… malgré tout ce qui peut séparer un ancien Indigné du Premier ministre d’un paradis fiscal… Emploi, éducation, coopération culturelle, dans le but affiché d’améliorer « la vie quotidienne des citoyens » étaient donc au programme de la visite, selon les exigences d’un « populisme de gauche » exempt de toute considération nationale susceptible de fâcher l’un ou l’autre parti. À quelques encablures de Trafalgar, un rejeton d’Albion semble nous signifier le grand retour du politique.
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