Accueil Édition Abonné « Il faut en finir avec les balivernes débitées par des imams incultes »

« Il faut en finir avec les balivernes débitées par des imams incultes »

Entretien avec Ghaleb Bencheikh


« Il faut en finir avec les balivernes débitées par des imams incultes »
Ghaleb Bencheikh, islamologue et président de la Fondation de l'islam de France. 00872601_000059 BALTEL/SIPA

Le président de la Fondation de l’islam de France Ghaleb Bencheikh, condamne le port du voile. Adepte d’une lecture moderniste du Coran, cet adversaire du salafo-wahhabisme appelle à une mobilisation générale contre l’obscurantisme.


Causeur. Vous considérez le voile comme une « atteinte à la dignité humaine dans sa composante féminine » et, trente ans après l’affaire de Creil, vous estimez que « la République a manqué d’autorité ». Reconnaissez-vous également une responsabilité aux musulmans français ?
Ghaleb Bencheikh. J’ai toujours parlé d’un double manquement. Les hiérarques musulmans n’ont pas su ou voulu trancher et dire « stop ». À supposer qu’il faille s’enchaîner à la référence scripturaire dans sa littéralité – chose qu’il ne faut surtout pas faire –, on constate que les injonctions coraniques quant à l’acquisition du savoir sont beaucoup plus impérieuses et nombreuses que les passages sur le voile, d’ailleurs moins clairs et explicites qu’on ne le fait savoir. D’un point de vue islamique, il vaut mieux que les fillettes aillent s’instruire et acquérir le savoir plutôt que de les emmitoufler.
D’un autre côté, la République a sa part de responsabilité. En 1989, le ministre de l’Éducation nationale s’est défaussé sur le Conseil d’État. Et ce dernier a tergiversé, en faisant du droit là où il fallait faire de la politique.

La République doit-elle sortir de l’ambiguïté et légiférer afin d’interdire le port du voile chez les accompagnatrices scolaires ?
Il revient d’abord aux imams, théologiens et oulémas de régler le problème canoniquement. Malheureusement, ils tardent à le faire. Il reste au politique à prendre ses responsabilités pour faire évoluer le droit. Mais humilier une femme devant son fils, comme l’a fait un élu RN au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, n’est surtout pas la bonne façon de faire. Dans l’état actuel du droit, elle pouvait être présente.

Contrairement à ce qui se dit, il ne l’a pas insultée, mais passons. Il y a trente ans, vous pensiez que le port du voile islamique appartenait au passé…
Oui, entre 1923 et 1979, la question avait été définitivement réglée par des fatwas et par le cours naturel des choses. Dans le sillage des travaux de Qasim Amin et Mansour Fahmy, des femmes musulmanes avaient participé, en 1923, au Congrès féministe de Rome. De retour à Port-Saïd, la fille de Muhammad Sultan Pacha, Huda Sharawi avait enlevé son voile en descendant du train à la gare centrale du Caire. Son geste théâtral et historique a été imité par les filles qui l’accompagnaient puis, en l’espace de trois ans, le voile a disparu du Caire et d’un peu partout. Cela a été corroboré sur le plan théologique et entériné sur le plan canonique par l’œuvre de Tahar Haddad, Notre femme dans la charia et la société.

De Dakar à Djakarta, cela a donné des intellectuelles et artistes d’intelligence et de talent, sans voile, comme Kartini, Céza Nabaraoui, Manoubia Ouertani, Doria Shafik ou Oum Kalthoum. Même à Kaboul, les filles portaient simplement des robes ! Dans les jamborees du scoutisme islamique, les garçons étaient en bermuda et les filles en jupe. Dans les instituts Ben Badis en Algérie, les classes étaient mixtes et les institutrices n’étaient pas voilées. Aucune lycéenne ni étudiante n’allait en cours voilée dans les sociétés musulmanes jusqu’aux années 1980, pas même les filles des recteurs successifs des universités Al-Azhar et Zitouna.

Pourquoi situez-vous le moment de rupture en 1979 ?
Dans le monde musulman, l’année 1979 a marqué une surenchère née de la conjonction de deux mouvements : la révolution khomeyniste et la réaction wahhabite, qui n’entendait pas lui laisser le monopole du rigorisme. Ce double jeu explique le voilement des filles dans les années 1980, et a fortiori durant la décennie noire en Algérie.

A lire aussi : Combattre l’hydre islamiste ?

Donnez-vous donc raison à ceux qui perçoivent dans le voile un signe identitaire et politique au-delà du symbole religieux ?
J’identifie trois éléments qui peuvent se combiner. Tout d’abord, l’offensive fondamentaliste d’inspiration wahhabo-salafiste, bien réelle, a culpabilisé des consciences apeurées de jeunes femmes en


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Novembre 2019 - Causeur #73

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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