C’est la plateforme Disney+ qui offre, en cette fin d’année, le plus beau des cadeaux aux fans de pop culture. Il s’agit bien sûr de “Get Back”, la série documentaire qui montre le délitement des Fab Four, et, paradoxalement, leur amitié indestructible.
Entre 66 et 69, malgré les tensions naissantes, les Beatles sont plus prolifiques que jamais. Ils enregistrent « Sergent Pepper » en 67, leur album le plus abouti. Et en 68, l’Album Blanc, plus sombre et foutraque, qui sonne la fin de la récréation des folles années 60.
En 69, à l’image d’un couple en crise, les Beatles se donnent une dernière chance. Ils décident de produire une émission de télévision dans laquelle on les verrait enregistrer leur nouvel album, dans les conditions du live comme au bon vieux temps de « Please please me ». Cela donne finalement leurs deux derniers albums : « Let it be » et « Abbey Road ». Cette épopée (car cela en est une), est filmée par Michael Lindsay-Hogg : soixante heures d’images et de sons inédits, dont Peter Jackson tire, plus de cinquante ans après, la substantifique moelle pour réaliser cette série documentaire, une sorte de téléréalité gonzo qui nous plonge, huit heures durant, au plus profond de l’âme des Beatles. Leur « Rubber Soul ». Peter Jackson donne à ces enregistrements la forme d’une éphéméride, en faisant un décompte des jours, entre le 2 et le 31 janvier 1969. Un mois donc.
Si tu ne veux pas que je joue, je ne jouerai pas
Nous suivons dans un premier temps le groupe sur les plateaux de cinéma de Twickenham, un hangar un peu glauque et froid, qui ne sied pas au groupe. Ensuite, nous sommes dans leur studio de Savile Row, où, l’espace de quelques jours, le groupe semble se souder à nouveau, alors que la dislocation était à l’œuvre dans le premier round. Enfin, la série se termine avec l’apothéose du concert mythique sur le toit de ce même studio.
Dans le hangar, l’ambiance est délétère : John est constamment en retard. Pendant les répétitions, il est comme absent, ne s’animant quelquefois que pour lâcher une blague mi pince sans rire, mi grivoise. Les chansons ont du mal à se mettre en place, rien ne sort de convaincant, seul Paul propose des idées, il se coupe littéralement en quatre, il est le groupe à lui tout seul.
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L’orage ne tarde pas à éclater. Lors de l’ébauche de “Two of us”, Paul fait remarquer à George d’un ton passablement énervé qu’il ne joue pas en rythme. Réponse laconique de George : « Je jouerai tout ce que tu veux et même si tu ne veux pas que je joue, je ne jouerai pas ». C’est un premier coup de tonnerre, heureusement suivi d’une éclaircie salvatrice, qui aboutit à la création de « Get back », grâce à un riff de George.
Retour aux sources
Et c’est à ce moment là que j’ai compris la raison de l’intitulé du documentaire : « Get back ». Avec cet enregistrement, le groupe tente de retourner en arrière pour recoller les morceaux, en essayant de retrouver la fraîcheur d’antan, et surtout, leur complicité de l’époque où on les surnommait les Fab Four. Retrouver le temps de leurs concerts des débuts au club « The Cavern » à Liverpool, de leurs prestations à Hambourg, quand ils jouaient avec cette énergie sauvage que bien des groupes punk auraient pu leur envier. Oublier un peu tous les événements sulfureux qui ont bien sûr participé à la légende, mais ont aussi contribué à leur délitement et à leur séparation. La beatlemania, les déclarations fracassantes de John (dont le fameux : « Les Beatles sont plus célèbres que Jésus »), l’ombre de Charles Manson qui voyait dans l’Album Blanc la marque du diable, et, cerise sur le gâteau, à partir de 66, l’omniprésence de Yoko.
La preuve en est : lorsque George, à bout de nerfs, quitte le groupe pendant quelques jours, il se tourne vers ses amis de toujours et s’écrie : « rendez vous dans un club de Liverpool ! ». Une autre scène très émouvante annonce la fin : George parti, Paul et Ringo attendent John pour commencer la répétition. Alors, Paul les larmes aux yeux, se tourne vers son batteur qui est tout aussi ému, et murmure : « And then they were two » (et ils se retrouvèrent à deux). Prémonition ? Aujourd’hui ils sont les deux seuls survivants.
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Après toutes ces péripéties et bien des atermoiements, ils décident d’abandonner l’idée de l’émission télé et de retourner dans leur studio. Ils viennent de créer leur propre société de production : Apple Corps.
Dans ce cadre qui leur est plus familier, la magie opère à nouveau et les nouvelles chansons se mettent en place comme une évidence. Le film montre un très beau passage, où John et Paul chantent « Two of us », visages radieux, les autres un peu à l’écart comme s’ils avaient compris qu’ils devaient leur laisser cet instant de complicité retrouvée. Les meilleurs moments à mon sens du film sont les reprises de vieux standards rock’n’roll. Toujours cette évocation et invocation de l’époque bénie de Liverpool… L’atmosphère s’allège également grâce à la présence de Linda et de sa fille Heather âgée de cinq ans. Elle estompe l’omniprésence de Yoko, pythie de mauvaise augure.
Et enfin, le dernier jour de janvier, le groupe monte sur le toit du studio de Savile Row pour un ultime concert, ou plutôt « non-concert », aux allures de répétition. Seuls entre le ciel neigeux et les cheminées de briques rouges. Les passants interloqués puis émerveillés essaient de les rejoindre, alors que la police leur intime d’arrêter. Le charme opère toujours. Plus que jamais. Ils sont quatre à nouveau, pour la dernière fois. Et pour l’éternité.
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