Certains font actuellement un lobbying intensif pour obtenir la légalisation de la gestation pour autrui, soit directement, soit indirectement à travers la reconnaissance de la filiation d’enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger. Pourtant, cette pratique est incompatible avec les valeurs fondamentales de notre civilisation, donc contraire au droit tant français qu’international.
Quelles que soient l’affection ou les capacités éducatives des « parents intentionnels », l’enfant né de GPA est remis à autrui par sa mère ou par des intermédiaires contre rémunération ou tout autre avantage, ce qui est la définition de la vente d’enfant, interdite « à quelque fin que ce soit et sous quelque forme que ce soit » par la Convention relative aux droits de l’enfant. Certains prétendent promouvoir une GPA éthique. Même dans ce cas, l’enfant est l’objet d’une convention et on dispose de lui. La faculté de disposer d’un bien est un attribut du droit de propriété, or en droit international, la « condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux » s’appelle l’esclavage.
Les enfants issus d’une gestation pour autrui peuvent avoir jusqu’à six « parents » : les parents génétiques (donneurs d’ovocyte et de sperme), la mère porteuse, son mari en vertu de la présomption de paternité et enfin les « parents intentionnels ». Leur filiation est manipulée au point qu’il leur est difficile de savoir qui ils sont. Ils sont conçus dans le but d’être abandonnés, ce qui constitue une grande violence, cause de souffrance et d’insécurité. Pourtant, selon la Convention relative aux droits de l’enfant, « Les Etats parties s’engagent à respecter le droit de l’enfant de préserver son identité » et « prennent toutes les mesures appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence (…) ou d’abandon ».
Si quelques unes peuvent être réellement volontaires et bénévoles, la plupart des mères porteuses acceptent ce rôle pour l’argent : 1500 à 6000 $ en Inde, ce qui peut représenter dix fois le salaire annuel du mari, autour de 20.000 $ aux Etats-Unis[1. Ces sommes représentent moins du quart de ce que les « parents intentionnels » déboursent pour acquérir l’enfant.]. Dès lors que des sommes élevées sont en jeu, les femmes ne sont plus réellement libres. Certaines sont même poussées, voire contraintes, par leur mari, dans une nouvelle forme de proxénétisme. Dans certains cas extrêmes, il s’agit véritablement de traite des femmes. Pourtant, les Etats se sont engagés à « réprimer, sous toutes leurs formes, le trafic des femmes et l’exploitation de la prostitution des femmes »[2. Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes].
Porter un enfant n’est pas anodin ni sans risque pour la santé de la femme. Dans un contrat de gestation pour autrui, l’important est l’enfant, les soins apportés à la mère après la naissance étant secondaires. Le plus souvent, la mère accouche par césarienne pour faire coïncider la naissance avec les billets d’avion des « parents intentionnels ». La mortalité maternelle restant élevée dans certains pays, les décès de mères porteuses ne sont guère rapportés par les médias. Deux affaires ont cependant été rendues publiques en Inde en 2012. En mai, une femme est décédée après avoir mis au monde un enfant pour un couple américain. Elle avait deux enfants, restés orphelins. A l’automne, une autre est morte à cause d’une hépatite contractée pendant la grossesse. Les atteintes à la vie et la santé de la mère ne sont pas réservés aux pays en développement. Au Royaume-Uni en 2005, une mère porteuse est morte en couches. Une autre a été sauvée de justesse aux Etats-Unis en 2011.
La mère porteuse n’est pas la seule femme impliquée dans la procédure. Actuellement, la plupart des candidats à la GPA ont recours à un don d’ovocytes. Si en France il s’agit bien d’un don, parfois plus ou moins contraint[3. Cf. le rapport de l’IGAS (mars 2011).] ailleurs c’est presque toujours une vente. Aux Etats-Unis, de nombreuses jeunes filles vendent leurs ovocytes afin de payer leurs études. D’interminables questionnaires permettent de sélectionner les meilleures pourvoyeuses pour assurer un bébé de qualité : apparence physique, appartenance ethnique, niveau d’études, profession, capacités artistiques ou sportives, religion, vie sexuelle, antécédents médicaux etc, le tout concernant la candidate et sa famille élargie pour avoir un bébé sur mesure, y compris le choix du sexe. En Inde, des cliniques affichent sans vergogne des tarifs trois fois supérieurs si la donneuse est blanche plutôt qu’indienne. Le prélèvement d’ovocytes est une procédure invasive et risquée, nécessitant une stimulation ovarienne (à l’origine de nombreux cancers) qui permet de prélever au moins une dizaine d’ovocytes à la fois, parfois le double. Le nombre d’ovocytes des femmes étant limité, c’est leur fertilité future qui est affectée. Il s’agit bien là aussi d’une forme d’exploitation des femmes[4. Voir les films Eggsploitation et Breeders du Center for Bioethics and Culture.].
L’expérience des rares pays qui ont décidé d’admettre la GPA en l’encadrant montre d’une part que le caractère non commercial est illusoire – en Angleterre par exemple, la « compensation raisonnable » autorisée constitue en pratique une véritable rémunération – d’autre part que la GPA encadrée ne suffira jamais à répondre à la demande : il n’y aura jamais assez de femmes volontaires et, dans la majorité des cas, les candidats à la GPA n’entreront pas dans les conditions légales. De nombreux Anglais vont ainsi se procurer des enfants en Inde. La demande étant supérieure à l’offre, il est inévitable, si la GPA n’est pas totalement prohibée y compris dans ses conséquences, que des personnes y aient recours à l’étranger, contribuant à l’exploitation des femmes et à la marchandisation des enfants. Le tourisme reproductif est un marché en plein essor – on parle de 2 milliards de dollars rien que pour l’Inde – si bien que les réseaux mafieux de toutes sortes y prolifèrent.
Reconnaître la filiation d’enfants nés par GPA à l’étranger reviendrait à en admettre le principe, ce qui est inacceptable. Le désir d’enfant ne peut justifier un prétendu droit à l’enfant, qui ne serait alors plus qu’un produit répondant à des normes de qualité. Ce désir ne peut pas davantage permettre d’utiliser une personne, la mère porteuse, comme un moyen pour le satisfaire. Aucune autre solution que l’interdiction ne peut être appropriée parce que la gestation pour autrui est en elle-même une violation de la dignité humaine, tant de la mère que de l’enfant.
*Photo: FAYOLLE PASCAL/SIPA. 00674993_000003
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