Ne mourrez pas, les rockers, ne mourrez pas… J’avais déjà râlé rude dans les brèves de Causeur Mag #07 après le flot continu de niaiseries journalistiques qui ont pollué le cortège funèbre de Lou Reed à l’automne dernier. Me voilà obligé de remonter sur mes grands chevaux de bois après lecture d’une nécro de Gerry Goffin dans Le Figaro.
Goffin n’était pas une star du rock, c’était plutôt « un artisan de génie » pour reprendre les mots de Philippe Auclair (voir plus bas). Dans les usines à hits de l’Age d’Or du rock, il écrivait, dans une obscurité relative, des tubes à la chaîne pour les groupes en vue du moment. Parfois seul, parfois en duo avec sa compagne d’alors, la sublime Carole King. Les grands auteurs de ce temps-là – souvent des ashkénazes brooklynois pur jus- turbinaient généralement en duo. Un peu d’histoire, OK ?
Remember Doc Pomus & Mort Schuman, géniteurs, entre autres, de Save The Last Dance For Me, de Sweets For My Sweet, qui fit tant bicher Frank Alamo et du Viva Las Vegas d’Elvis, dont je suis sûr que Doc et Mort avaient pressenti le destin historique : un jour leur génie s’allierait à ceux de Barry Gilliam, d’Hunter S. Thompson et des Dead Kennedys.
Remember Barry Mann & Cynthia Weil, à qui on doit une myriade de jolies mélodies sucrées à souhait, mais aussi une flopée de chefs d’œuvre méchamment rock : Kicks de Paul Revere, Shades of Gray des Monkees, le formidable We Gotta Get Out Of This Place des Animals, sans oublier Shape Of Things To Come, l’Internationale des groupes garage. (J’espère que de là-haut, l’anticommuniste le plus doué du XXème siècle, Johnny Ramone, me pardonnera cette figure de rhétorique aux ordres de Moscou)
Remember, dans le registre confiseurs surdoués, Howard Greenfield et Neil Sedaka (Brooklynois comme tout le monde, et aské par sa maman, Neil faisait un peu mouton noir pour cause d’ascendance paternelle judéo-stambouliote) . Sans eux, pas de Stupid Cupid, de Love Will Keep Us Together ni de Oh Carol – qui cause de love story avec Carole King (voir plus haut) et permit encore une fois à Sedaka de se singulariser puisqu’il eut l’idée bizarre de chanter ses propres chansons.
Même les plus grands parmi les plus grands étaient binomisés. On ne vous parlera pas ici des patriarches yiddishs Jerry Leiber et Mike Stoller (Que D. lui prête longue vie) qui méritent assurément un article et quelques mausolées à eux tous seuls. Mais sachez que l’immense Burt Bacharach a coécrit quelques uns de ses miracles avec Hal David (Putain, c’est plus une liste, c’est une rafle !). Vous en voulez ? N’en voilà : Raindrops Keep Fallin’ on My Head, I’ll Never Fall in Love Again, Walk On By, What the World Needs Now Is Love (en), I Say a Little Prayer, Always Something There to Remind Me. Perso, j’appelle ça une vie bien remplie, et je ne crois pas que les amis Burgalat et Ajavon me contrediront.
Mais puisqu’il faut bien, à un certain moment, aborder le sujet de son article, revenons à l’œuvre de Gerry Goffin et la misère morale subséquente du Figaro. Goffin from Brooklyn a entre autres écrit, seul ou avec Carole King ( de son vrai nom Carole Klein, tiens, tiens), des tops immarcescibles tels le ténébreux Take Good Care of My Baby pour Bobby Vee, le virevoltant Loco-Motion pour Little Eva, le lumineux Up on the Roof pour les Drifters ainsi que Don’t Bring Me Down pour les Animals, ce qui était généreux de leur part, car si ma mémoire est bonne Eric Burdon et ses petits camarades avaient ouvertement moqué Take Good Care of My Baby, dans leur Story of Bo Diddley. Mais bon, aucun de ses noms ne devaient dire quoi que ce soit à la préposée aux nécros du Figaro puisqu’on a cru bon d’y titrer : «Décès de Gerry Goffin, parolier pour Whitney Houston.»
Ce qui n’est vraiment pas cool, pour résumer un CV comme celui de Goffin, mais qui est en plus mensonger. Certes feue la foldingue à voix a interprété en 1985 « Saving All My Love for You » effectivement écrite par Goffin et Michael Masser. Mais pas pour Whitney ! Elle fut composée huit ans avant pour le délicieux duo soul Marilyn McCoo & Billy Davis Jr., deux anciens de 5th Dimension. Dire que Goffin fut le parolier de l’intalentueuse Mme Houston, c’est un peu comme si l’on titrait, le jour funeste où Paul Mc Cartney trépassera, qu’il fut parolier pour les Compagnons de la Chanson, immortels interprètes du Sous-marin vert. Grrr.
Pour en savoir plus sur Gerry, les curieux, les rockers, les amateurs de précision (et de belle langue aussi) se reporteront à l’article « Brill Building » rédigé par l’excellentissime Philippe Auclair dans l’indispensable Nouveau Dictionnaire du Rock, publié chez Bouquins Laffont sous la direction de Michka Assayas (que son nom soit sanctifié !)
NB : Je n’aime pas les menaces physiques, mais si un jour (que nous souhaitons très très lointain), un quelconque confrère avait le mauvais goût d’infliger le même genre de violences posthumes à Pete Townshend ou Ray Davies, j’aurais prévenu…
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