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Germanophobie : Streng verboten !


Dessin : Alex.

Bing boum badaboum ! Un nouveau danger mortel menace notre démocratie : la germanophobie. Comme si l’islamophobie, l’homophobie et la négrophobie dominantes chez nos concitoyens ne suffisaient déjà pas à désigner les Français au courroux du reste de l’humanité, et spécialement de l’humanité nord-européenne.

Aussitôt lancée, l’accusation fut reprise et martelée en boucle façon Guetta par toute la droite réunifiée, ardemment secondée par les vigiles de la gauche morale − Mélenchon inclus, (lequel se proposera d’ailleurs ensuite comme préposé au lynchage, dans la fort similaire affaire Efa Choly-Patrick Besson). Immédiatement, la « germanophobie » fut achetée comptant, sans sourires ni guillemets, tant par les éditocrates que par le sous-prolétariat journalistique des sites et chaînes d’info continue, qu’on connaissait plus bégueules quant aux slogans made in UMP : rappelons que le premier à avoir pointé cette dérive a été le « meilleur d’entre nous ».

Alain Juppé, donc, a ouvert le bal avec une déclaration solennelle: « Par pure tactique politicienne, avec pour seul objectif l’affaiblissement du président français, les socialistes prennent les risques de ressusciter en France les vieux démons de la germanophobie […] « Nationalisme allemand », « politique à la Bismarck », « droite prussienne ». L’emploi de ces termes fait froid dans le dos. Il est honteux, par hargne partisane, de fragiliser notre acquis le plus précieux: la réconciliation, l’amitié franco-allemande.» Rien que ça! Même dans ses dénonciations coutumières des dérives « islamophobes » en France, le patron du Quai d’Orsay n’avait jamais utilisé un langage aussi peu diplomatique.[access capability= »lire_inedits »]

Rappelons aussi que les contempteurs politiques et médiatiques des dérives socialistes avaient en tout et pour tout deux pièces à conviction dans leurs besaces. D’une part une petite phrase de Jean-Marie Le Guen publiée sur son blog vendredi 25 novembre: « Le président de la République ne sait pas convaincre les dirigeants européens ni s’adresser aux peuples d’Europe : malheureusement, Nicolas Sarkozy ressemble plus à Edouard Daladier qu’à Charles de Gaulle ou François Mitterrand. » D’autre part, le 30 novembre et les jours suivants, une série de déclarations d’Arnaud Montebourg comparant la politique d’Angela Merkel à celle de Bismarck.

On sait depuis la liquidation de Danton qu’il n’est pas de bon procès politique sans amalgame préalable : pour donner un peu de consistance à ce dossier, on aura donc pris soin de mélanger à la charge politique murie de Montebourg une godwinerie hélas assez banale et dégoûtante de Le Guen, qui d’habitude prêche ses âneries dans le désert − ce qui signifie en clair que tout le monde se fiche de ce qu’il dit. Cette fois, curieusement, on a abondamment relayé l’adjectif « munichois » accolé au président par l’ex-strauss-kahnien converti depuis une semaine et demie au patriotisme économique et qui, c’est logique, en rajoute avec l’enthousiasme du néophyte. Si quelqu’un peut prévenir le député du 13e que le héros de Sarko est Mandel, réac antimunichois forcené, assassiné par la Milice peu avant la Libération − soit l’exact contraire de l’élu du Front populaire Daladier…

Le cas de Montebourg est beaucoup moins folklorique − ce qui m’arrange car, une fois de plus, j’approuve et ses mots et son jugement. Que nous dit-il en substance? Que Merkel, à l’instar de Bismarck, vénère la loi du plus fort. On rappellera qu’en Allemagne, être comparé à Bismarck n’est pas une injure : premier unificateur de l’Allemagne moderne, le lointain prédécesseur d’Angela à la chancellerie est honoré dans tout le pays, y compris dans l’ex-RDA, par des centaines de statues. Être comparé à Bismarck en Allemagne est donc à peu près aussi diffamatoire qu’être comparé à Napoléon en France − encore que, depuis que Napoléon a été jugé coupable de racisme, il est assez louche de le citer. Bismarck ne concevait le renforcement de l’Allemagne autrement que par l’affaiblissement de ses voisins. Ce n’est donc pas faire injure à Angela Merkel que de parler de « politique à la Bismarck », puisque la chancelière, persuadée que le Sud de la Zone euro ne sait (ou ne veut) ni travailler ni épargner, entend dicter son contrat léonin à tous ses partenaires. Si s’opposer à ce « diktat », c’est être germanophobe, si contester la politique de Mme Merkel, c’est appeler à la guerre, alors ce n’est pas la « règle d’or » qu’il faut inscrire dans la Constitution, mais l’interdiction absolue de critiquer les dirigeants d’outre-Rhin.

Auquel cas il faudra demander à Interpol de faire coffrer Helmut Schmidt, 92 ans mais toutes ses dents, qui, ce dimanche 4 décembre, a déclaré au congrès du SPD : « Les excédents allemands ne sont en réalité que les déficits des autres États européens. » L’ancien chancelier s’en est pris très durement à Wolfgang Kauder, le chef du groupe parlementaire CDU/CSU, qui venait de proclamer que, dorénavant, « on parlerait Allemand en Europe ! ». Avant de lancer une mise en garde formelle à la chancelière : « Si nous succombons à la tentation de dominer les autres, nos voisins se dresseront contre nous. » Jusqu’où la germanophobie ne va-t-elle pas se nicher ? La haine de soi, gross malheur !

Il est donc proprement hallucinant qu’un ministre des Affaires étrangères signifie aussi brutalement, sur le ton de l’interdit majeur, qu’un tel type de désaccord ne saurait être exprimé de par chez nous. Moi qui croyais que les autorités françaises avaient vocation à défendre les intérêts français, je les découvre arc-boutées sur la défense des intérêts allemands, ou plus exactement sur la défense de la rente versée aux retraités allemands…

Car de quoi parle-t-on d’autre ? Le racisme anti-allemand a disparu chez nous, et c’est heureux, en même temps que les risques de guerre sur le Rhin. Si racisme franco-allemand il y a, on le trouvera plus facilement dans les colonnes du Bild que chez les plus fanatiques de nos souverainistes ou altermondialistes.

De fait, cet amalgame entre eurosceptiques et bellicistes renvoie à la campagne du TCE de 2005 ou maints tenants du Traité (je me souviens de Lellouche, mais il y en a eu un paquet d’autres, y compris au PS) nous ont rabâché que c’était ou bien le « oui » franc et massif, ou bien la guerre en Europe dans les six mois qui suivent. C’est ce même argument qu’on nous ressert, agrémenté d’un nouvel « élément de langage » : la germanophobie.

Cet « élément de langage » a ceci de fabuleux qu’il annihile d’avance tout débat : vous n’avez pas le droit de dire ça, et je me ferais tuer pour que vous n’ayez plus le droit de le redire. En attendant, j’irai, comme notre président, demander des excuses, au nom de la France repentante, à Mme Merkel. Et, couvert de cendres, je signerai tout ce qu’on me présentera, comme le fit Nicolas Sarkozy à l’Élysée ce 5 décembre, un lundi noir à marquer d’une pierre bleue constellée d’étoiles d’or, comme la règle éponyme.

C’est donc à cela qu’aura servi ce blitzkrieg anti-germanophobe : la ringardisation de l’eurosceptique ayant lamentablement échoué, a tel point que même le protectionnisme redevient tendance via Montebourg, alors on passe à la vitesse supérieure. Tout ce qui n’est pas dans les clous de germanolâtrie ambiante (modèle allemand en économie, Bad Godesberg en politique, deutsche qualität pour l’Opel Meriva, etc.) sera désormais qualifié de germanophobie. Fini la rigolade, place à la démonisation voire carrément la psychiatrisation, car, entre nous, qu’est-ce qu’une phobie sinon un trouble mental ?

Seule la maladie peut expliquer qu’un homme politique normal ose remettre en cause le postulat du couple fusionnel franco-allemand. Seul un pervers peut rêver de divorce. J’ai dit le postulat ? J’aurais aussi bien fait de parler de dogme tant l’indignation générale des montebourgophobes fait penser à la sainte colère des lefèbvristes devant je ne sais quel spectacle supposé blasphématoire.

Certes, la germanophobie n’est pas stricto sensu un blasphème. D’un point de vue scientifique, donc périssable, la germanophobie relève plutôt de la transgression de tabou, laquelle n’est légalement blasphématoire qu’aux doux pays des arts premiers, ou à la rigueur de l’iconoclastie par lacération d’image d’Épinal. Mais la France n’étant ni animiste, ni orthodoxe, c’est bel est bien de blasphème symbolique qu’on peut parler. Symbolique seulement, l’européisme étant encore, pour l’instant, une religion rêvée, pas révélée.[/access]

 

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Décembre 2011 . N°42

Article extrait du Magazine Causeur



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