Comme il s’était fait mal voir l’année dernière en avançant l’idée que la gauche avait peut-être tort de parler de races plutôt que de classes, le progressiste Gérard Noiriel se rattrape en voyant carrément une sainte « transgenre » dans la basilique de Vézelay.
Nombre d’historiens, et parmi les plus en vue, critiquent la notion de récit ou de roman national qu’ils jugent réactionnaire alors qu’il ne s’agit que de faire apprendre à nos élèves quelques dates, événements et noms d’illustres personnages de notre histoire de France dans le but de leur donner un socle minimal de connaissances historiques de leur pays. Les mêmes n’hésitent pourtant jamais, de leur côté, à inventer toutes sortes de récits quand ceux-ci peuvent servir leurs croyances dogmatiques.
Ainsi, le professeur au Collège de France Patrick Boucheron nous a-t-il gratifié en 2017 d’une Histoire mondiale de la France dans laquelle la France s’effaçait derrière le reste du monde. Dans cet ouvrage grossièrement orienté, le métissage irréductible des Français remontait au paléolithique, Descartes était « d’abord un philosophe itinérant », la bataille de Poitiers n’était qu’une « escarmouche », etc. L’objectif de ces multiples récits était soi-disant de lutter contre « l’étrécissement identitaire ». En réalité, le but était d’atomiser l’histoire de France et de l’instrumentaliser en valorisant outrancièrement les apports fantasmés des migrations et du métissage.
Père Noiriel, raconte-nous une histoire !
En 2019, sur France Culture, l’historien de l’art Philippe Jockey montait sur ses grands chevaux idéologiques et nous expliquait que les statues grecques n’étaient pas blanches à l’origine mais de toutes les couleurs [1] et que « l’histoire nous l’[avait] caché pour promouvoir le blanc comme idéal d’un Occident fantasmé, contre les couleurs symboles d’altérité et de métissage ». Affirmation délirante qui fit rire jaune les historiens sérieux et les conservateurs des musées qui n’ont jamais dissimulé la polychromie originelle des statues et rappellent simplement que l’effacement des pigments de couleur est essentiellement dû au temps.
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De son côté, Gérard Noiriel, professeur au Collège de France, innove : adieu le métissage et les migrations paléolithiques, bye bye la suprématie blanche dans les musées, bonjour la “transidentité” qui remonterait à la plus haute Antiquité. Afin de coller au plus près des dernières tendances sur le genre et de dénoncer la transphobie, l’historien a raconté une bien belle histoire sur France Culture le 29 mars. Décrivant la sculpture d’un des chapiteaux de la basilique de Vézelay représentant un moine entrouvrant sa robe de bure pour laisser voir une poitrine féminine, il n’a pas hésité à parler d’une « sculpture transgenre » censée prouver que la « transidentité n’est pas un phénomène nouveau et qu’on en trouve déjà des exemples dans l’Antiquité ».
Toujours faire appel aux spécialistes
Si je veux en croire les spécialistes du transgenrisme, une personne transgenre est une personne qui présente une « identité de genre » qui ne correspond pas à son sexe biologique. C’est, par exemple, une personne qui est biologiquement femme mais qui se sent homme, qui veut être reconnu comme homme, et qui ira jusqu’à « transitionner » pour réduire au maximum ce qui est vécu comme un décalage entre son sexe biologique et cette fameuse identité de genre. Or, la sculpture dont parle Gérard Noiriel représente Sainte Eugénie, jeune vierge qui coupa ses cheveux, se revêtit d’habits d’homme et se fit appeler Eugène pour pouvoir suivre des moines dont les chants et les prières la bouleversèrent et se convertir au christianisme. Jamais Eugénie ne se sentit homme ; elle usa de ce stratagème pour continuer de vivre dans un monastère réservé à des hommes où elle devint célèbre pour son pouvoir de guérison. On comprendra plus loin pour quelles raisons Gérard Noiriel a voulu réaliser cette hallucinante chronique et voir du transgenrisme là où il n’est pas. En attendant, plus intéressante est l’expérience que vécut Eugénie déguisée en moine et qui à bien des égards aurait mérité, de la part de notre historien, une analyse pointue à l’aune des revendications de plus en plus véhémentes des mouvements néo-féministes de type MeToo : un jour, une femme nommée Mélanthia voulut remercier Eugénie de l’avoir guérie en lui offrant ses charmes, persuadée d’avoir affaire à un homme. Eugénie refusa ses avances sans dévoiler son véritable sexe. Mélanthia, vexée, l’accusa de… viol et la traîna devant les tribunaux. Devant le juge et son accusatrice, Eugénie fut obligée de montrer sa poitrine féminine pour rétablir la vérité – c’est cette scène que représente la sculpture de Vézelay.
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L’histoire comme la littérature sont pleines de stratagèmes reposant sur des transformations et des déguisements qui n’ont rien à voir avec la transsexualité – qu’on songe au sulfureux moine Rosario, en vérité une femme prénommée Mathilde qui se consume de désir pour le moine Ambrosio, personnage central du célèbre roman gothique de M. G. Lewis intitulé Le Moine ; ou au personnage d’Isaac Bashevis Singer, Yentl, cette jeune fille juive qui se travestit en garçon pour pouvoir étudier dans une école talmudique réservée aux hommes ; ou à Mary Read, femme pirate du XVIIIe siècle qui se faisait passer pour un homme et qui, dit-on, montrait sa poitrine à ses ennemis avant de les tuer pour leur montrer qu’une femme peut se battre aussi bien qu’un homme. Comme Sainte Eugénie, tous ces personnages fictifs ou réels n’ont rien à voir avec le transgenrisme. Mais quand il s’agit de défendre et de valoriser les thèses progressistes du moment, en particulier celle qui veut voir advenir la « fluidité du genre » chère aux épigones de Judith Butler, tout devient possible. Surtout si on a des choses à se faire pardonner…
Plus woke que moi, tu meurs !
L’excellent Observatoire du décolonialisme a découvert le pot aux roses [2]. Gérard Noiriel s’étant fait secouer les plumes par certains de ses congénères après la parution de Race et Sciences sociales [3], il souhaite redorer son blason progressiste par tous les moyens. Voulant se faire plus plus wokiste que jamais, il est allé piocher l’essentiel de sa chronique dans les écrits de Chloé Maillet, une historienne et militante « trans » qui considère que « le cisgenrisme a pour effet l’invisibilisation des personnes trans […] autant dans la société actuelle que dans des époques anciennes », et qui cherche dans l’histoire moyenâgeuse des figures pouvant conforter sa thèse. Comme le montre très bien L’Observatoire du décolonialisme, Noiriel, qui ne cite pas sa source, reprend purement et simplement certains écrits de cette militante. Comme cette dernière, le professeur au Collège de France ne parle plus des « femmes » mais des « personnes assignées femmes ». Comme elle, et quasiment mot à mot, il pense que « le croisement entre cette tradition de virilité féminine et l’idée d’une féminisation des moines a pu permettre l’émergence de cette figure transgenre ». Bref, en bon copiste wokiste, Noiriel a paresseusement reproduit les écrits les plus anachroniques et les plus bêtes sur l’histoire soi-disant bouleversante des supposés transgenres moyenâgeux, histoire de se refaire une beauté universitaire de gauche.
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Notons que M. Noiriel est le co-fondateur du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH), un office de vérification auto-assermenté qui se fait fort de « porter un regard critique sur les usages et mésusages publics de l’histoire » et qui est composé essentiellement d’historiens réputés pour leur accointance politique avec la gauche, voire l’extrême-gauche (Laurence de Cock, par exemple, est signataire de la récente tribune des 800 universitaires appelant à voter Mélenchon parue dans L’Obs). Nous conseillons respectueusement à Gérard Noiriel de relire le manifeste de son Comité de vigilance. Celui-ci stipule en effet que « s’il est normal que les acteurs de la vie publique soient enclins à puiser dans l’histoire des arguments pour justifier leurs causes ou leurs intérêts, en tant qu’enseignants-chercheurs nous ne pouvons pas admettre l’instrumentalisation du passé ».
[1] https://twitter.com/franceculture/status/1196740030833872897
[2] https://decolonialisme.fr/?p=7471
[3] Race et Sciences sociales. Essai sur les usages publics d’une catégorie, Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, Agone. Essai dans lequel les auteurs ont cherché à démontrer pour quelles mauvaises raisons la question raciale a supplanté celle de la lutte des classes, critiquant entre autres le « processus d’assignation identitaire qui consiste à définir publiquement les gens par leur couleur de peau ». Mme Rokhaya Diallo, lisant l’article du Monde Diplomatique recensant cet essai, a eu un haut le cœur : « Quelle honte de relayer ça ! » (Twitter, 2janvier 2021).
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