Noyé sous le mélodrame de sa démission, on n’a pas entendu le testament de Gérard Collomb. Lors de son départ, l’ex-ministre de l’Intérieur a pourtant établi un constat lucide sur l’état de la France et de ses banlieues. Quel dommage qu’il ne l’ait pas dressé plus tôt…
Un ministre ça démissionne ou ça ferme sa gueule, disait Jean-Pierre Chevènement. Et, par trois fois, il préféra l’ouvrir et partir – une première fois contre le virage libéral en 1983, une seconde à cause de la guerre du Golfe et une troisième pour s’opposer à la politique corse de Lionel Jospin. On ne saurait donc reprocher à un ministre de quitter un président avec lequel il a des divergences graves. Mais on ne voit décidément pas ce qui justifie de s’affranchir du respect dû aux institutions, et de piétiner le formalisme républicain en trompetant sa décision par voie de presse comme l’ont fait Nicolas Hulot et Gérard Collomb.
Regardez comme je démissionne !
Peut-être apprendra-t-on un jour que ces deux départs cachaient d’autres conflits, parfaitement inavouables (genre un qui a regardé la femme de l’autre). Mais même cela ne justifierait pas que les Français fussent pris à témoin d’embrouilles ne les concernant pas. Quand on a le privilège de servir son pays, on doit pouvoir tenir ses nerfs une ou deux semaines. En vérité, seul un narcissisme de starlette ayant des remords d’avoir cédé et tenant à le faire savoir peut expliquer la désinvolture bruyante avec laquelle le ministre de l’Ecologie et celui de l’Intérieur ont annoncé qu’ils quittaient le bateau macroniste. Dans le cas de Gérard Collomb, on dirait qu’il fait payer sa propre fascination passée au président dont la jeunesse et le talent l’enchantaient il y a deux ans. De même, nombre de journalistes semblent vouloir effacer par leur sévérité les guirlandes d’épithètes louangeuses qu’ils tressaient durant la courte marche du fondateur d’En Marche vers l’Elysée. C’était il y a dix-huit mois. Autant dire un siècle dans le temps médiatique.
Le testament de Gérard Collomb
L’attention s’étant focalisée sur le caractère psychodramatique (voire mélodramatique) de la rupture entre le jeune prince et son mentor, on a plus commenté l’ambiance glaciale et matinale de la passation des pouvoirs que le diagnostic crépusculaire énoncé par le ministre démissionnaire sur l’état de notre pays: « Aujourd’hui, on vit côte à côte. Je crains que, demain, on vive face à face. » Évoquant la situation des quartiers sensibles il a ajouté : « C’est plutôt la loi du plus fort qui s’impose, des narcotrafiquants, des islamistes radicaux, qui a pris la place de la République. »
Si on comprend bien ce que Gérard Collomb n’a pas dit, une partie de nos banlieues est potentiellement hors de contrôle. Et, empêtré dans l’enmêmetemptisme Emmanuel Macron n’a pas pris la mesure du problème ni engagé la reconquête culturelle sans laquelle tout une frange de la population française vivra de plus en plus sur une autre planète mentale. Si c’est là le cœur du désaccord entre le président et son ministre de l’Intérieur, il méritait une sortie plus digne.
Le déni, c’était fini
Depuis qu’en janvier 2015 le terrorisme islamiste a refait une entrée fracassante dans nos vies, tous les responsables politiques et tous ceux qui aspirent à l’être l’ont proclamé : le déni, c’était fini. Au-delà de la lutte policière et judiciaire, on allait s’attaquer à la forêt où poussaient de tels arbres, sanctionner ceux qui franchissent la ligne de la violence et essayer de ramener dans le giron républicain tous ceux qui constituent une contre-société où n’a pas cours l’aimable libéralisme de la nôtre. Répondant à tous ceux qui ironisaient sur les fantasmes d’islamisation, les rapports, les enquêtes se sont accumulés, révélant tous la structuration durable, au sein de la France musulmane, d’une grosse minorité (entre un quart et un tiers) acquise aux idées et au mode de vie des islamistes, grâce à un réseau d’institutions et d’associations – bénéficiant généralement de fonds publics.
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Chaque attentat, en tout cas les plus meurtriers, a été suivi d’une brève période de lucidité, y compris chez les représentants et intellectuels musulmans qui ont découvert qu’une partie de la jeunesse issue de l’immigration leur échappait. Chaque fois, on a juré qu’on ne refermerait pas les yeux, que la République ne reculerait pas, qu’on mènerait la bataille pour les cerveaux musulmans que Gilles Kepel appelait de ses vœux il y a déjà quelques années. Et bien sûr, à chaque fois, l’exigence de vérité et de fermeté a cédé le pas à celle de la compassion et de la correction. Il ne fallait pas froisser. Tout cela n’avait rien à voir avec rien. Ce séparatisme n’avait pas de responsables, sinon la pauvreté et les discriminations. C’est-à-dire nous la France.
Chut, ça passera !
Le candidat Macron avait annoncé la couleur. Si ces jeunes n’aiment pas la France, c’est de la faute de la France qui ne leur a pas assez donné. Convaincu que les circonstances se coucheraient devant sa volonté et que le spectre du chômage reculerait devant son seul nom, il attendait en somme que Uber et la croissance changent la donne. Ce qui a reculé, c’est la date de son grand discours sur la laïcité, plusieurs fois repoussé puis semble-t-il annulé. C’est qu’à la stricte séparation, Emmanuel Macron, c’est son côté deuxième gauche, préfère une paisible coopération entre l’Etat et les religions. Après avoir câliné les catholiques dans son discours des Bernardins, il s’est donc mis en quête de musulmans modérés et bien français comme Hakim El Karoui à qui confier le mistigri de l’islam de France. Si on considère, comme Pierre Manent, qu’il faut en quelque sorte établir un pacte entre la France et ses musulmans, la mise en œuvre présente de sérieuses difficultés. À qui faire savoir que les musulmans sont les bienvenus pour peu qu’ils procèdent aux indispensables adaptations à la culture et aux mœurs françaises ? Avec qui, d’ailleurs, définir ces adaptations ? Dans quelle loi faut-il inscrire qu’en France on doit supporter d’être blessé par les opinions, les croyances ou l’absence de croyance de son voisin ? Bien sûr, on peut faire découler tout cela de la loi de séparation de 1905, mais peut-on encore croire que l’invocation d’un principe mal connu et décrié même par ceux qui devraient le défendre, comme le très multiculturaliste Jean-Louis Bianco, suffira à changer les esprits ? Plutôt que de se prendre la tête avec des problèmes qui ne se règleront, s’ils se règlent, qu’en plusieurs générations, on choisit de ne pas en parler en espérant qu’ils disparaîtront tout seuls. À quoi bon désespérer le 9-3 ?
Moins Français qu’avant
La chronique de l’emprise salafiste et la rubrique des faits divers montrent pourtant la pertinence du constat de Collomb. Or, dans sa quête d’interlocuteurs présentables, le pouvoir est à côté de la plaque : l’islam de France ne bute pas sur un problème d’offre mais de demande. En somme, plus les représentants des musulmans sont modérés, moins ils sont représentatifs. Ramadan, les Frères musulmans et même les auteurs d’attentats sont infiniment plus populaires dans nos quartiers que le regretté Abdelwahab Meddeb ou Hakim El Karoui. La crise de l’intégration est telle que des jeunes de la troisième ou quatrième génération se sentent moins français que leurs aînés. Une politique refusant de regarder en face ce phénomène se condamne à l’impuissance ou à l’insignifiance. Et accroît le risque de voir un jour les fractures françaises dégénérer en guerre civile.
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