Gilda est quadragénaire, mère de deux enfants, divorcée, écrivain, « bobof », c’est-à-dire bobo mais pauvre, elle rêve du grand amour et fait tout pour le trouver. En fait, elle croit l’avoir trouvé à chaque rencontre, ce qui complique sérieusement sa quête, et les conseils sages de ses amies, toutes belles et à moitié alcooliques, n’y font rien.
Me glisser dans la peau de Gilda réclamait quelques efforts de ma part, je les ai fournis, on ne sait jamais.
Lorsqu’elle rencontre Patrick, dont le portrait le rend immédiatement digne du meilleure Marc Levy, Gilda se refuse à tomber en pâmoison. « Rien à carrer de son allure de fauve. » est une belle injonction. Après tout, aucune femme n’est tenue de tomber en pâmoison devant le premier étalon venu, , même si son corps le lui suggère et même dans les romans. Gilda est ce qu’il était permis d’appeler, jusqu’en 2005 environ, avant que le terme ne tombe en désuétude heureuse, une « célibattante ». Une femme romantique et égoïste, avec un don certain pour se tromper de coup de foudre, et ne jamais renoncer au prince charmant. Le roman de Géraldine Barbe, mélange d’ironie poussant à la misogynie la plus jubilatoire, et d’auto-analyse pertinente, s’emploie à démontrer l’absurdité de cette attitude : « Laisser faire les choses, à condition que le hasard vous arrange ».
Un roman sans folie
Affublée d’un prénom et d’une ambition (écrire un traité de l’amour heureux) impossibles, Gilda se débat entre son coeur, sa conscience, baptisée Lady dans le roman, et chargée des commentaires, le regard des autres, son âge et les coupes de champagnes. Ce chemin de croix mène parfois au grand amour. La morale de l’histoire ? Qu’il faut arrêter de le chercher. Comme il n’y a « rien de plus ennuyeux, de plus déprimant même, que le bonheur des autres », le roman se termine au moment où Gilda est amoureuse, pour de bon, pour longtemps. On ne révèlera pas de qui. Géraldine Barbe est parvenue à capturer une partie de la grande histoire qui nous obsède tous, à en faire un objet de raillerie, de tendresse, de drôlerie, d’amertume, un livre stylé et pas cliché.
Ce qui lui manque pour devenir explosif, c’est la vraie folie, celle que l’on ne peut pas noyer dans un verre à cocktail. Celle que l’on trouve dans le premier roman de Cathy Galliègue, La nuit je mens.
On ne connaît pas la femme à côté de laquelle on se couche
Là, pas de célibataire, pas de soirées entre copines, pas de persiflage et de comparaison infinie des hommes entre eux, pas de regards d’oiseaux de proie braqués sur les fesses de ces messieurs. Juste un grand malheur porté par une écriture gracieuse et sans détours, une construction astucieuse, et des personnages bien lustrés mais ébréchés.
Mathilde avait tout pour être heureuse dans son conte de fées avec Gaspard, un golden boy qu’elle croyait ne pas mériter, qui l’emmène en Italie et la chérit soir et matin. Elle est hantée par le suicide de Guillaume, par la marque que la corde a laissée sur son cou. Et Gaspard n’en sait rien. On ne connaît pas la femme à côté de laquelle on se couche, c’est une règle que les hommes préfèrent oublier. Mathilde est grignotée par son souvenir, puis rattrapée par son amour jamais éteint pour le défunt Guillaume. Quand elle avoue à Gaspard qu’elle le trompe avec un fantôme, imaginez quelle déflagration elle provoque autour d’elle.
J’ai eu moins de peine à me glisser dans la peau de Mathilde. Conclure de deux romans d’amour qu’il n’y a pas de morale en amour m’a demandé moins d’efforts.
Il faudrait sans doute que j’en écrive un.
Géraldine Barbe, Tous les hommes chaussent du 44 – La brune au Rouergue, 125 pages.
Cathy Galliègue, La nuit je mens – Albin Michel, 224 pages.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !