« L’islam n’est pas le problème, le problème c’est la connerie, le sectarisme. » Quelques jours seulement après les attentats parisiens du 13 novembre 2015, Gérald Darmanin, élu LR multimandats du Nord-Pas-de-Calais, dévoilait sur RTL les racines du malaise entre la France et ses musulmans : tout ça, c’est la faute aux Dupont-la-joie. Clémentine Autain ou Edwy Plenel n’auraient pas dit mieux… Mais quelle mouche a donc piqué celui qui cite le général de Gaulle à tout bout de champ ? Ce produit de la méritocratie à la française, fils d’une femme de ménage comme il se plaît à le rappeler. Ce jeune homme pressé dont l’ascension politique fulgurante agace jusque dans son propre camp, lui valant le surnom de « Darmalin ». La clé de l’énigme se trouve à Tourcoing. C’est lors des dernières municipales qu’il déloge de leur fief des socialistes médusés. La Marseillaise est aussitôt entonnée par le nouvel élu et ses troupes le soir de la victoire pour célébrer un député-maire de 32 ans seulement, droitier décomplexé qui a fait mordre la poussière à l’appareil socialiste local pourtant réputé invincible.
Loi du marché
Gérald Darmanin a su, bien mieux que ses rivaux, analyser la sociologie électorale de Tourcoing et de ses 92 000 habitants. La ville aux cinq mosquées, très abîmée socialement, compte une large proportion de Français de confession musulmane. Un électorat dont les socialistes ont trop longtemps cru que le vote leur était automatiquement acquis, refusant de voir que les héritiers de « la marche des beurs » avaient, pour beaucoup, troqué les chimères égalitaires de la gauche pour la loi du marché. Le mariage homosexuel achevant de creuser le fossé de l’incompréhension entre le PS et des populations attachées à la famille traditionnelle. C’est ainsi que Gérald Darmanin expliquait à Libération en octobre 2014 que si Nicolas Sarkozy avait perdu les présidentielles, c’était à cause des 90 % des Français musulmans qui avaient voté Hollande. « C’est une anomalie. Conservateurs sur les sujets de société et plutôt libéraux en économie, ils devraient voter majoritairement à droite. » Une fenêtre d’opportunité s’est ouverte pour un discours de droite prenant garde de ne pas contrarier un électorat qui peut peser lourd à Tourcoing, ville où chaque bulletin compte, alors que le taux d’abstention dépasse régulièrement les 50 %. Bien vu, bien joué, puisque la victoire était au bout du calcul.
Boudin et chansons, censuré
Le problème, c’est qu’à force d’appels du pied, d’attentions, de gestes destinés à flatter ou à ne pas contrarier telle ou telle chapelle, le candidat devenu maire n’a pas su résister à la tentation communautariste.[access capability= »lire_inedits »] Comment expliquer sinon l’annulation in extremis de Boudin et chansons, une farce burlesque programmée lors de la fête de la musique en juin 2015 ? Sur cette question et d’autres soulevées ici, nous avons évidemment sollicité – et à maintes reprises – l’intéressé sans jamais obtenir de réponses. La faute certainement à un agenda trop chargé : Gérald Darmanin est tout à la fois maire, vice-président du conseil régional et de la Communauté urbaine de Lille. La censure a été justifiée à l’époque par le premier adjoint au maire. Il jugeait dangereux de faire jouer un spectacle contenant le mot boudin dans son titre, expliquant qu’il ne souhaitait pas que l’on « choque » la population musulmane. Un prétexte d’autant plus grotesque que la metteur en scène belge est de confession musulmane et que personne ne s’était manifesté (publiquement en tout cas) pour faire connaître sa désapprobation.
Spot salafiste
Beaucoup moins drôles en revanche, les salafistes, qui ont pignon sur rue, en l’occurrence dans la dernière mosquée, installée au début de l’année au quartier Pont Rompu, avec l’assentiment du maire qui a débloqué un dossier enlisé depuis cinq ans. Jusque-là, les musulmans radicaux du secteur devaient se cantonner à des lieux de prières improvisés dans lesquels officiait l’imam al-Gwadeloupi, prêcheur d’un wahhabisme « pur » inspiré d’un des prédicateurs les plus durs de ce courant, le Cheikh Rabi al-Madkhali. Tourquennois, chrétien d’origine antillaise, al-Gwadeloupi se convertit en 1998 à l’âge de 18 ans. Son profil de Français appartenant à une minorité – donc susceptible d’être travaillé par des interrogations identitaires – en fait une cible de choix. Il est repéré par Ammar Nemmouche, imam radical, Tourquennois lui aussi, et agent recruteur des salafistes, oncle de Mehdi Nemmouche – le tueur présumé du Musée juif de Bruxelles – qui l’envoie à Médine, d’où al-Gwadeloupi revient avec ses galons d’imam. Mais il y a quelques semaines, un imam plus chevronné et tout aussi radical lui a succédé : Hassan Abou Asma, très actif sur la toile, notamment sur le site convertis-al-islam.fr. Avec des prêcheurs de cette trempe, la mosquée du Pont Rompu est devenue le spot salafiste de la région, les fidèles s’y pressent pour le très couru prêche du vendredi. Comme par exemple les Roubaisiens radicalisés de la mosquée Aboubakr qui se cherchent un nouvel imam en phase avec leur conception de l’Islam, car la Grande Mosquée de Paris a coupé les ponts avec eux et rapatrié son imam.
Terre de mission
Dans une tribune publiée récemment[1. L’Opinion, 7 mars 2016], Gérald Darmanin reproche à Éric Zemmour de soutenir que l’islam est incompatible avec la République : « Les musulmans ne sont pas le problème. Le communautarisme, voilà l’ennemi. Le radicalisme en est d’ailleurs sa dérive sectaire. En cela, oui, les politiques sont lâches : ils n’ont pas imposé l’assimilation. Oui, des quartiers se ghettoïsent ; oui, l’antisémitisme est banalisé ; oui, la libanisation est possible. » Un maire lanceur d’alerte, farouche défenseur de la laïcité invitant les politiques à l’autocritique, Tourcoing en aurait bien besoin alors que des franges radicales de l’islam en font une terre de mission et tissent leur toile dans une quasi-indifférence. Mais derrière la vitrine séduisante d’un élu droit dans ses bottes républicaines, dans l’arrière-boutique, à l’abri de la curiosité médiatique, bien des arrangements sont possibles. Même les plus déraisonnables. En octobre 2015, un rapport des services de renseignement fuitait dans la presse. Il pointait les dérives communautaristes des clubs de sports en France et épinglait notamment Naturel-Sport-Bourgogne, une association tourquennoise. À sa tête Mohamed Mezdour, un Français salafiste, éducateur sportif. Jusqu’au mois de janvier, cette figure bien connue du quartier populaire de la Bourgogne était également Adulte-Relais, assurant à ce titre un rôle de médiateur social (lire l’encadré ci-dessous). Dans les activités physiques qu’elle propose, Naturel-Sport-Bourgogne applique une stricte séparation entre femmes et hommes, ce qui ne semble pas beaucoup émouvoir la municipalité. Une salle de musculation du plus grand complexe sportif de la ville est ouverte, quatre fois par semaine, à Naturel-Sport-Bourgogne pour des séances réservées aux hommes. Les femmes ne sont pas oubliées. Pour elles, la mairie met aussi à disposition deux jours dans la semaine, une salle dans le quartier de Bourgogne. Et voilà donc qu’à Tourcoing, la discrimination entre hommes et femmes est institutionnalisée avec la bénédiction de la Ville. Sur le terrain du clientélislamisme, Darmanin rivalise désormais avec Martine Aubry qui avait autorisé qu’un créneau soit réservé aux femmes dans une piscine de Lille. La maire de Lille, aujourd’hui encore, traîne comme un boulet cette concession aux pressions communautaristes que les amis LR de Gérald Darmanin n’oublient jamais de lui rappeler.
S’accommoder du système
Bien sûr ces deals avec la communauté musulmane ne datent pas d’hier à Tourcoing et les socialistes, longtemps au pouvoir, en ont été les initiateurs. Sauf qu’après Charlie, l’Hyper Cacher, les terrasses, le Bataclan, et deux ans après avoir conquis la ville, Gérald Darmanin s’accommode parfaitement du système. Apparemment, chez les LR on n’y voit que du feu puisque l’étoile montante du parti réussit à se faire passer pour un spécialiste de la laïcité. Nicolas Sarkozy qui l’avait choisi comme porte-parole au moment de la campagne pour la présidence de l’UMP a donc pensé à lui au printemps dernier pour rédiger, avec Henri Guaino, un rapport sur l’islam en France. Un rapport introuvable et qu’il n’est pas possible de consulter au siège du parti LR. Dommage. On était curieux de connaître les propositions de « Darmalin », l’apprenti sorcier.
« Regardez, y’a pas de tapis de prière ici ! »
Quatre fois par semaine, ils sont une petite dizaine à se faire les muscles dans la salle de sport qui leur est réservée par la municipalité, à deux pas du centre-ville. Des hommes exclusivement. Naturel-Sport-Bourgogne ne mélange pas les genres. « On ne reproche pas à un rabbin ou au pape de ne pas serrer la main à une femme ! » se défend Mohamed Mezdour, 42 ans, créateur de l’association tourquennoise en 2004. Parmi ceux qui transpirent ce samedi après-midi, il est le seul à porter cheveux ras et barbe hirsute et à se retrouver dans le collimateur des services de renseignement qui ont inscrit à l’automne dernier Naturel-Sport-Bourgogne sur la liste des clubs sportifs communautaristes. « Cela fait des années qu’on s’entraîne ici, tout le monde nous connaît, d’ailleurs on a de très bons rapports avec la municipalité. Et puis regardez vous-même, il n’y a pas de tapis de prière ici ! » Mezdour est une figure de la Bourgogne, un quartier populaire de Tourcoing où prospèrent dealers et « barbus ». Recruté en 2007 comme Adulte-Relais par la municipalité socialiste, il a été reconduit par la nouvelle majorité.
Mohamed Mezdour assure que son club est ouvert à tous, sans distinction parce qu’il est « français avant tout ». S’il condamne les attentats terroristes, « J’aimerais pouvoir serrer dans mes bras les parents des victimes », explique-t-il avec les larmes aux yeux, pas question pour autant de proclamer « Je suis Charlie » : « Quand je vois ce qui se passe aujourd’hui, ce que j’ai envie de dire, c’est : je suis un réfugié. » S’estimant « victime de préjugés », il cite Rosa Luxemburg : « La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement. »
Il y a quelques mois, lors d’un entraînement, Mohamed Mezdour a reçu la visite de policiers accompagnés d’une représentante de la municipalité. « Je dois être fiché S et on doit écouter mon téléphone. Mais de toute façon, je n’ai rien à cacher, c’est ce que je leur ai dit. » À la suite de cette rencontre, Mohamed Mezdour a appris que, sur décision de la Préfecture, son contrat d’Adulte-Relais ne serait pas renouvelé. En attendant de retrouver un travail, ce père de cinq enfants pourra toujours occuper son temps libre à l’exercice physique, entre hommes. À Tourcoing, les salles de sport municipales lui restent grandes ouvertes. À ses exigences aussi.
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