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Portrait du philosophe en musicien


Portrait du philosophe en musicien

georges liebert nietzsche

De tous les grands penseurs allemands qui ont marqué la pensée française, Nietzsche est sans doute celui dont l’influence est la plus profonde ; comme celle de Schopenhauer, son œuvre a d’abord touché des écrivains  étrangers au monde de la philosophie académique (Daniel Halévy, Paul Valéry, André Gide, pour ne citer que les plus célèbres) avant de devenir finalement une référence majeure des philosophes des années 1960, grâce notamment à Deleuze et à Foucault.

Un des grands mérites du beau livre de Georges Liébert que viennent de rééditer les PUF[1. Georges Liébert, Nietszche et la musique, nouvelle édition,  PUF, coll. « Quadrige », 2013.] est de faire revivre pour nous ce qu’on pourrait appeler le « premier Nietzsche », tel qu’il est apparu à un public artiste et littéraire certes sensible à  la culture allemande mais qui était nourri de Wagner et de Schopenhauer beaucoup plus que de Kant et de Hegel. Historien de l’art du chef d’orchestre[2. Georges Liébert, L’Art du chef d’orchestre, Hachette-Littératures, coll. « Pluriel », 1988.] et éditeur de Thomas Mann[3. Thomas Mann, Wagner et notre temps, Hachette-Littératures, coll. « Pluriel », 1978.], Liébert ne sous-estime pas pour autant la philosophie de Nietzsche, mais il prend au sérieux, plus que la plupart des philosophes, la formule plus souvent citée que comprise de l’auteur du Crépuscule des idoles : « Sans la musique, la vie serait une erreur. » Cette « formule-clef » a, selon lui, deux sens plus complémentaires que contradictoires.[access capability= »lire_inedits »]

D’un côté, « Que la vie sans musique soit une erreur peut vouloir dire que la musique fait oublier la vie » − c’est ce que Nietzsche dénoncera chez Wagner après avoir d’abord lui-même cultivé cette illusion avec une « sombre ivresse ». « Mais la même formule peut au contraire signifier que la vie ne se comprenant qu’à partir de la musique, celle-ci, loin d’en être la négation, en représente l’affirmation immédiate et irréfutable », et c’est évidemment cette voie qui est privilégiée dans la dernière philosophie de Nietzsche.

Pour Georges Liébert, l’œuvre de Nietzsche tout entière peut être lue comme un prolongement de cette intuition première : au contraire des philosophes passés dont il dénonçait la surdité volontaire, Nietzsche se veut « philosophe musicien – et philosophe parce que musicien » (p. 11). Cela nous vaut une passionnante relecture de l’évolution de la pensée de Nietzsche, riche en aperçus originaux et stimulants (comme la comparaison récurrente entre Nietzsche et Rousseau) et qui a notamment le grand mérite d’éclairer autant que possible la relation entre l’auteur de Zarathoustra et celui de Tristan, en rendant justice à Wagner et en montrant tout ce qu’il y a d’injuste dans les analyses du « cas Wagner » (voir par exemple p. 187-188, sur le « pétulant résumé de l’Anneau que citent ad nauseam les dévots du philosophe » ). Liébert nous restitue par une voie nouvelle  la cohérence de l’œuvre de Nietzsche tout en faisant pleinement droit à la manière dont celui-ci  se comprenait lui-même : son livre est de ceux que personne ne doit ignorer s’il veut comprendre le « philosophe musicien ».[/access]

Georges Liébert, Nietszche et la musique, nouvelle édition,  PUF, coll. « Quadrige », 2013

*Photo : SPDP.

Janvier 2013 . N°55

Article extrait du Magazine Causeur



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