A l’occasion des premières “Rencontres de la souveraineté” qu’il organise avec l’ancien député LR Julien Aubert le week-end prochain à Nîmes, et à l’approche des élections européennes de juin prochain, le président de République Souveraine plaide pour une alliance entre la gauche patriote et la droite gaulliste.
Causeur. Les Rencontres de la souveraineté sont-elles une plateforme de lancement pour une campagne aux européennes ?
Georges Kuzmanovic. Les Rencontres de la Souveraineté sont une étape qui ne cache aucun agenda secret. A ce stade, nous voulons que « les républicains des deux rives » se rencontrent. Mais nous sommes encore loin d’une plateforme commune pour une campagne européenne. Nous allons nous écouter, comprendre clairement les lignes rouges de chacun, et défricher les terrains praticables en commun. C’est une question de méthode. Sachant que, malgré nos divergences, chacun est d’accord pour dire que la souveraineté est notre clef de voûte.
Mais tout le monde n’en est-il pas désormais convaincu, à commencer par Emmanuel Macron ?
Depuis la crise du covid, le mot « souveraineté » est passé du statut de concept désuet et rétrograde à une nécessité que comprennent tous les Français. On ne peut plus continuer avec une balance commerciale négative à hauteur de 200 milliards d’euros par an. On ne peut plus accepter que le pays de Pasteur, ne produise quasiment plus de vaccins, de médicaments, d’instruments de santé. On ne peut plus accepter que la patrie des ingénieurs qui ont fait le Concorde, Ariane, le TGV, le nucléaire et tant d’autres choses, soit à la traîne industriellement et dépendante de pays, qui, comme on le voit ces derniers temps, peuvent devenir des adversaires géopolitiques. C’est parce que la question de la souveraineté est à son kairos qu’Emmanuel Macron, même lui, est obligé de faire avec. Mais la souveraineté qu’il prône, « la souveraineté européenne » est un oxymore. C’est la continuation de ce qui s’est fait depuis quarante ans, et qui nous a conduits, par le biais des traités européens désavantageux et des traités de libre-échange, dans la situation où nous nous trouvons. Seules en ressortent grandies et plus fortes les multinationales et les institutions financières. Macron est comme le médecin de Molière. Il veut appliquer davantage du remède qui nous tue à petit feu.
Vous avez rompu il y a cinq ans avec la France insoumise notamment sur les questions d’immigration. Quelle est votre position sur ce qui est en train de se passer à Lampedusa ?
La raison principale de ma rupture avec La France insoumise tenait au changement de ligne par rapport à l’Union européenne. La question de l’immigration n’en est qu’une conséquence, certes importante. Ce qui se passe à Lampedusa est une tragédie humaine et une déconfiture politique. Pour les immigrés et pour les habitants de l’île d’abord. C’est aussi l’illustration dramatique de l’impuissance politique de Bruxelles à trouver une solution. Ça a permis à plusieurs personnalités, dont Marine Le Pen, Giorgia Meloni ou encore Ursula von der Leyen de faire des moulinets, dont il ne devrait rien ressortir. Pas plus que lors de la précédente crise migratoire à Lampedusa il y a dix ans, presque jour pour jour. En une décennie, l’Union européenne n’a produit qu’un « pacte européen sur la migration et l’asile », le 23 septembre 2020, bien vague et de toute façon ratifié par personne. La vérité, et il faut vraiment se le mettre dans la tête, c’est que la crise migratoire est un sous-produit de la mondialisation néo-libérale. L’Europe est dévorée par sa propre folie, comme le fut l’URSS. La question est : quand y mettrons-nous un terme ? La réponse est : quand nous aurons reconquis notre souveraineté nationale – et pas européenne – et quand nous aurons accepté la souveraineté réelle des autres nations, en particuliers africaines, ce qui signifie d’arrêter de les considérer, comme au temps des colonies, comme un déversoir à nos productions et comme un vivier de main d’œuvre corvéable à merci.
Soyons concrets, imaginons que vous deveniez membre du Parlement européen : œuvrez-vous au Frexit ?
En ce qui me concerne, non. J’ai plus d’ambition pour mon pays. Le Frexit, pour une nation de notre ampleur, est un enfantillage. La France n’a pas vocation à être isolée, nous sommes au cœur du continent et nous sommes un des peuples qui a le plus contribué à faire l’Europe, au sens civilisationnel. La vocation de notre pays est d’être un moteur qui emmène vers de nouveaux horizons. L’idée d’une coopération entre États européens demeure donc, à mon sens, une belle idée, dans bien des cas nécessaires. Mais contrairement aux européistes mondialistes, je dirais, comme le déclamait admirablement Jean Gabin dans Le Président d’Henri Verneuil, que « c’est sur la nature de cette Europe que l’on ne s’entend pas ». Je rappelle d’ailleurs que dans ce film, l’adversaire de Gabin, interprété par Bernard Blier, est un homme politique qui a fait un début de carrière dans une banque – suivez mon regard. Il faut l’Europe des peuples et des États-nations, pas l’Europe des banques. Pour cela il faut abattre cette Union européenne, ou l’aider à s’effondrer sous le poids de ses propres contradictions ! Ensuite à nous de rebâtir un nouveau partenariat européen, fait de coopérations bilatérales et multilatérales. La vision qu’en avait le Général de Gaulle et la forme qu’il proposait avec le plan Fouchet et le Traité de l’Elysée de 1963 me semble la bonne ligne à suivre.
Vous n’êtes pas seul à prôner le souverainisme. Comment vous positionner par rapport à Nicolas Dupont-Aignan, dont le parti DLF a obtenu 3,51% des voix lors des dernières élections européennes (pas assez donc pour siéger à Strasbourg) ? Et par rapport à l’UPR de François Asselineau (1,17%) ?
François Asselineau a déclaré de manière limpide vouloir faire les choses seul. C’est évidemment une impasse. Quant à Nicolas Dupont-Aignan, il doit choisir sur quel pied danser. Un jour il évoque une union de ceux qui défendent la souveraineté, un autre jour « l’union des droites » avec Éric Zemmour et Marion Maréchal. Soyons sérieux, Zemmour et Maréchal incarnent ce que fut le Front national du temps de Jean-Marie Le Pen, ils sont libéraux économiquement, atlantistes en géopolitique et rabougris sur les questions identitaires. On est loin de De Gaulle et de la défense de la souveraineté. Car il ne peut pas y avoir de souveraineté si les pouvoirs d’argent ne sont pas contrôlés, si nous nous inféodons économiquement à Francfort et géopolitiquement à Washington. La première cause de destruction de la nation et de l’identité de la France est la finance mondialisée et débridée, loin devant le wokisme, qui n’en est qu’un sous-produit.
A l’échelle du continent, plusieurs leaders autrefois euro-sceptiques, comme Marine Le Pen, Matteo Salvini ou Andrej Babiš, ne tiennent plus un discours de rupture si franche avec Bruxelles. Ne sont-ils pas tout simplement devenus raisonnables ?
C’est pour cela que je crois que le Rassemblement national, à moins d’une étonnante surprise, est un leurre, comme l’ont été Giorgia Meloni et Matteo Salvini. Changer le cours des choses exige du courage, de la volonté et avant tout un plan. Or, de plan, ils ont donné la preuve qu’ils n’en ont pas. Voyez Madame Meloni, un jour qualifié de « néofasciste » avant de se voir repeinte d’un coup en « interlocutrice acceptable » dès lors qu’elle est allée rencontrer Ursula Von der Leyen et l’a assurée, d’une part, de continuer les politiques néolibérales imposées par la Commission européenne, et, d’autre part, de son atlantisme sans faille, l’Union européenne la laissant faire joujou avec les questions sociétales. De la même manière, Matteo Salvini, malgré ses rodomontades, a soutenu le gouvernement du très européiste Mario Draghi, ex-patron de la Banque centrale européenne et ex-banquier chez Goldman Sachs. Tout ça pour ça ? Par ailleurs, je crois que Marine Le Pen est frappée par les mêmes illusions que la gauche de gouvernement au tournant de l’an 2000, qui avaient totalement fourvoyé Lionel Jospin, alors Premier ministre. Régnant à cette époque sur l’Europe, cette gauche de gouvernement a mis en place des politiques néolibérales, en assurant que ce serait le moyen de faire évoluer « l’Europe de l’intérieur » vers plus de social. On connait la suite, ce fut le mantra de l’impuissance. Il n’y pas eu plus mais moins de social. Je vois que les partis dits eurosceptiques de droite ou ceux d’extrême droite se sentent à leur tour pousser des ailes. Ils espèrent qu’ils seront majoritaires au parlement de Strasbourg et qu’ils pourront alors mener les politiques migratoires et de sécurité qui les unissent. C’est pourquoi ils mettent de l’eau dans leur vin concernant la construction européenne. Mais l’Union européenne est un carcan non démocratique. Une chape de plomb qui empêche absolument toute autre politique que celles voulues par la Commission de Bruxelles.
Vous dites combattre frontalement Emmanuel Macron. Y compris dans le dossier ukrainien ?
Bien évidemment. Même si je dois reconnaître au président qu’il a eu, et le seul dans l’Union européenne, la bonne attitude au début du conflit, celle d’aller discuter avec Vladimir Poutine et de tenter de décrocher un accord. Négocier, trouver une solution pacifique, c’est ce que doit faire le chef d’une nation comme la France. Seulement, Emmanuel Macron est rapidement rentré dans le rang. Les critiques des Européens plus soumis ont eu vite raison de ses velléités d’agir en acteur géostratégique indépendant. Je dois avouer que sur la guerre en Ukraine, je suis largement en accord avec Nicolas Sarkozy, qui défend une ligne réaliste et non pas une ligne idéaliste menant aux bains de sang et aux impasses. Quand il y a un conflit armé, on doit se demander quels sont les intérêts de la France, puis décider si l’on doit entrer en guerre en fonction de nos intérêts. Comme le disait le Général de Gaulle, « les pays n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». Nous n’avons rien fait de cela. Alors que notre constitution nous impose que le parlement se prononce sur nos engagements, or, depuis l’Afghanistan, on ne le fait plus. Il est urgent de faire la paix, ce qui passe par des pertes territoriales pour l’Ukraine. En mars 2022 Volodimir Zelensky y était disposé, mais il en a été dissuadé par les Etats-Unis comme l’a rapporté le Premier ministre israélien d’alors, Naftali Bennett. L’option de la paix implique aussi que l’Ukraine ne rentre ni dans l’OTAN ni dans l’Union européenne, une position que Nicolas Sarkozy partage aussi du reste. Si cette option n’est pas choisie, la seule issue sera l’escalade, avec un risque d’extension de la guerre, et au minimum la garantie d’une aggravation de la situation économique, déjà mauvaise.
Lors des commémorations des 50 ans de la mort de Salvador Allende, Jean-Luc Mélenchon est apparu arborant à la boutonnière une cocarde tricolore. Vous qui le connaissez bien, pour avoir été un de ses proches collaborateurs par le passé, comment interprétez-vous ce geste ?
D’abord, Salvador Allende n’est pas juste mort. Il s’est suicidé lors du coup d’État organisé par la CIA et qui a mis Augusto Pinochet au pouvoir. Comme dans 64 autres situations du même genre depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Cette année, nous avons également commémoré le 70ème anniversaire du coup d’État contre Mohammad Mossadegh, qui voulait un Iran plus souverain notamment sur les questions énergétiques. Pour revenir à votre question, quand j’étais en charge des questions internationales et de défense à La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon était différent. Il était universaliste républicain, anti-communautariste, il était pour combattre l’islam politique et pour la régulation de l’immigration. Il n’était pas tombé dans le wokisme. Un de ses combats d’alors était de faire revenir dans le giron de la gauche les termes comme « nation », « indépendance », mais aussi le drapeau bleu-blanc-rouge, la cocarde, la Marseillaise, etc. Et nous avions eu d’ailleurs beaucoup de succès. Ce sont des symboles, dont beaucoup doivent à la gauche ; il n’y a aucune raison de les abandonner à tel ou tel courant politique. Maintenant, je ne saurai expliquer la logique qui meut à présent Jean-Luc Mélenchon. Un jour ces symboles sont positifs et un autre ils ne le sont plus. Visiblement c’était un bon jour.