Un dictionnaire paraît sur la vie et l’œuvre de Georges Franju, grand anticonformiste du cinéma français.
Evoquer une œuvre, un artiste ou un domaine général sous la forme d’un dictionnaire est une tentation de plus en plus répandue (voir la célèbre collection Dictionnaire amoureux chez Plon). Il faut dire que la formule est plutôt séduisante, permettant à la fois une approche plurielle des sujets et au lecteur de picorer dans les ouvrages sans forcément tout lire de A à Z.
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Le risque, c’est qu’elle peut aussi être une solution de facilité et se heurter à l’écueil du survol un peu superficiel, de la redite d’un article à un autre.
Un producteur natif de Lettonie
Frantz Vaillant, déjà auteur de biographies consacrées à Roland Topor et à Léo Ferré (on a vu des choix beaucoup plus contestables !) nous propose aujourd’hui un dictionnaire autour de la vie et l’œuvre de Georges Franju. Et disons-le d’emblée, il évite tous les pièges du genre pour nous proposer la plus agréable des déambulations sur les pas du cinéaste. Que les exégètes n’espèrent toutefois pas une analyse approfondie (thématique, stylistique…) de la filmographie. Si tous les titres sont, bien entendu, évoqués, ils le sont de manière assez factuelle, sans étude approfondie. Mais peu importe dans ce cas car l’approche est davantage biographique. Et là, l’ouvrage est passionnant de bout en bout. D’abord parce que Frantz Vaillant a effectué un gros travail de recherche et qu’il a eu accès à de nombreuses sources. On trouvera donc des extraits d’entretiens, des citations de Franju évoquant les cinéastes qu’il admire (Buñuel), ses contemporains (la Nouvelle Vague dont il fut un compagnon distant, un peu plus âgé, mais soutenu par Truffaut et Godard à ses débuts) ou ses complices (Henri Langlois avec qui il fonda la cinémathèque française).
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Entre anecdotes très drôles, à l’instar de la notice consacrée au producteur Jules Borkon (qui produisit Les Yeux sans visage et Pleins feux sur l’assassin) : « Claude Chabrol raconte que le producteur souffrait des moqueries dont il faisait régulièrement l’objet et qui concernaient son nom. Ce natif de Lettonie ne supportait pas qu’on raille son nom véritable, qui était Jules Borku. Il fit donc le nécessaire pour changer son état civil et c’est ainsi que Jules Borku devint Jules Borkon ». Ou celle dédiée au projet d’un documentaire sur les « reliques » : Henri Claudel, du ministère des Affaires étrangères, propose à Franju au début des années 50 de faire un sujet sur la question. Le réalisateur accepte. Et se renseigne. Quelques jours après, il retrouve son commanditaire et lui annonce le plus sérieusement du monde : « Il se trouve que des fragments du saint-prépuce de Jésus Christ se trouvent dans tous les coq-girouettes des églises de France et de Navarre. J’imagine que si on fait le compte, le Jésus-Christ, il devait avoir une bite haute comme la flèche de Notre-Dame ! » Henri Claudel qui pressent peut-être un scandale, lui dit : « Non, ne faites pas le film. » Et le projet avorte.
L’auteur parvient à nous offrir un panorama très complet sous la forme d’un puzzle où chaque pièce fait apparaître petit à petit la personnalité de l’anticonformiste Franju.
Une préface signée Jean-Pierre Mocky
Une des principales qualités de ce dictionnaire est sa richesse « documentaire » qui offre à Vaillant le loisir de revenir sur les débuts du cinéaste, son rôle dans la création de la Cinémathèque (où il œuvra à tirer Méliès de l’oubli), ses débuts comme documentariste reconnu (Hôtel des invalides, Le Sang des bêtes…) puis son passage au long-métrage de fiction à 46 ans avec La Tête contre les murs… Ce premier long aurait dû être le premier film de Jean-Pierre Mocky (qui signe d’ailleurs la préface de ce dictionnaire) mais les producteurs l’estimèrent trop jeune et inexpérimenté. Le futur auteur des Dragueurs dû donc se contenter de tenir le premier rôle du film.
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Par ailleurs, l’ouvrage frappe également par sa qualité « littéraire », une des marques de fabrique des œuvres publiées chez Marest éditeur. En effet, non seulement Vaillant parvient à éviter les redondances mais ses notices, souvent aussi concises que précises, sont ciselées avec beaucoup de soin et d’humour. Le style délicieusement laconique de l’auteur (qui évoque parfois, par son art de la chute, celui de Fénéon) est un délice et achève de prendre ce Dictionnaire d’une vie indispensable…
Georges Franju: le dictionnaire d’une vie de Frantz Vaillant (Editions Marest, 2019)
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