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De l’urgence de relire Courteline

«L’Arbre Vengeur», excellent éditeur bordelais, réédite son œuvre


De l’urgence de relire Courteline
Georges Courteline, écrivain français (1858-1929). Photo : D.R.

«Messieurs les ronds de cuir» de l’édition en ont mis, du temps, pour le rééditer…


Le constat est implacable, sondage après sondage, deux tiers des français ne veulent pas de cette réforme des retraites. Il en est un autre, encore plus alarmant sur la vitalité du théâtre français et l’aphasie éditoriale. On ne lit plus Georges Courteline et, plus grave, on ne le réédite pas. Il est passé de mode, placardisé, lambrissé dans des intérieurs bourgeois, boulevardisé dans les portes qui claquent et les adultères duveteux, relégué à cette toute fin XIXème, juste au moment de l’avènement de la fée lumière et de l’érection d’une Tour boulonnée sur des terrains mouvants. Ses histoires de préposés aux écritures et d’altercations caustiques dans les transports publics sont-elles si éloignées de notre morne réalité où la loi inique et les interdits s’abattent sur nos têtes depuis maintenant trois longues années ?

Moraliste des réunions de syndic

Courteline avait déjà tout écrit, tout prédit sur les illusions perdues, la rapacité commerçante, la médiocrité bureaucratique et les élans incertains du cœur. Il savait intimement que l’Homme libre serait perpétuellement en proie à des forces administratives obscures, d’étranges règlements tentaculaires et la méchanceté inhérente à l’âme humaine, plus commandée par la bêtise que par la malignité des sentiments.

Ce moraliste des réunions de syndic, à l’humour grinçant, pousse les situations banales de l’humiliation ménagère en bombe à retardement. Quand personne ne veut céder, de peur d’être atteint dans son honneur, c’est là que le sport commence, la joute pathétique s’emballe, les arguments glaiseux s’affrontent avec cette outrance surjouée et cette envie de ne pas céder une once de terrain à son adversaire, qu’il s’agisse de payer un ticket de bus à un contrôleur malveillant ou de ne pas réveiller une épouse acariâtre après une nuit trop arrosée. Chez Courteline, l’honneur est souvent bafoué, l’injustice rampante, les maris accablés et les palabres sans fin, l’individu lambda devient alors, selon la formule de Michel Audiard, la mascotte des tortionnaires. Avec Courteline, point de sang et d’armes à feu, seulement des paroles blessantes lancées avec une rogue attitude et toujours sûr de son bon droit, le code à la main. Les faux-héros de ce styliste à l’encre noire, sont souvent de petits bourgeois vindicatifs, des fonctionnaires transparents ou des théâtreuses rapaces.

Cruauté et désespoir derrière le comique

Dans la collection Exhumérante où l’on trouve, entre autres, Octave Mirbeau, Alphonse Allais, Tristan Bernard, Jules Renard ou O. Henry, « l’Arbre Vengeur », toujours inspiré dans sa préservation du patrimoine littéraire publie Ah ! Jeunesse ! de Courteline, illustré avec beaucoup d’à-propos par Stéphane Trapier que Chaval aurait certainement adoubé. Courteline a dédié cette série de nouvelles et saynètes à Marcel Schwob qui avait préfacé Messieurs les ronds-de-cuir (tableau-roman de la vie de bureau) en 1893. Ces morceaux d’ironie tordante se déroulent souvent Place de la Bastille ou rue du Faubourg-Saint-Denis, dans un Paris couleur sépia, voguant entre le vaudeville et l’étude des mœurs, dans un environnement, en apparence, sans histoire. Mais un détail, une réflexion, un minuscule abus d’autorité vont venir dérégler cette grande machinerie que nous appelons aujourd’hui le « vivre ensemble ». Courteline sait faire monter cette mayonnaise, la maïeutique des gens ordinaires.

Avec les années, le côté vaudevillesque l’a emporté dans les mémoires sur la philosophie du désespoir, et surtout, nous avons oublié combien l’écrivain élevé dans sa prime enfance en Touraine chez ses grands-parents, se révèle un auteur plein de perfidies réjouissantes. On se love dans son écriture saignante, faite d’arabesques et de précisions d’entomologiste. Admirez le maître : « Il y a, pour les gens très bêtes, un spectacle très récréatif : c’est celui d’un homme de lettres dans l’exercice de ses fonctions. Non, je ne crois pas qu’il soit un champ où fleurisse, s’épanouisse, prospère de plus luxuriante façon l’observation narquoise des niais et de leur ineffable goguenarderie ». C’est drôlement envoyé, et, celle-là, d’une cruauté abyssale, à propos d’une jeune personne : « La vérité me force pourtant à le dire: au régiment des perruches, Mlle Mariannet eût pu être tambour-major. Sa taille le lui eût permis, et aussi l’insondable point de profondeur où atteignait sa puérilité ». Alors, on se lève tous pour Courteline !

Ah ! Jeunesse ! de Courteline – L’Arbre Vengeur, 224 pages.




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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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