Une biographie doit parfois rendre compte de destins contradictoires. Après avoir connu la gloire, un homme est mis à l’index. On l’a hissé au premier rang, puis on a caviardé son nom. Les compagnons de sa jeunesse sont morts, ce sont des héros. Lui a poursuivi son chemin, et c’est un réprouvé.
Laquelle de ses deux vies faudra-t-il retracer, laquelle donnera plus de sens à toute son existence ? Confronté à ce dilemme, Maxime Tandonnet a cherché une cohérence aux deux vies de Georges Bidault (1899-1983).
Celui qui fut un personnage de premier plan dans la Résistance et au début de la IVe République a suscité peu d’études. Après des années d’oubli, cet ouvrage tient compte des archives désormais accessibles de Georges Bidault et de celles de sa femme, Suzanne Botrel [1]
Originaire de Moulins, fils d’une famille nombreuse « de petite bourgeoisie rurale », orphelin de mère dès sa petite enfance, Georges Bidault a passé sa jeunesse en val d’Aoste, dans un internat de jésuites, où il s’est révélé fort en thème. Puis il s’est orienté vers des études d’histoire à la Sorbonne. La licence en poche, en 1918, il est mobilisé, soldat de 1re classe au 92e régiment d’infanterie, il fait partie des troupes d’occupation en Allemagne, puis il revient à la vie civile. Il a connu l’armée, un peu, il n’a pas vu le feu.
Professeur, journaliste, militant
En 1925, il est reçu premier à l’agrégation d’histoire (Pierre Brossolette étant deuxième et Louis Joxe douzième) et commence une carrière de professeur. Il fait connaissance de Marc Sangnier, le créateur du mouvement Le Sillon et il adhère à l’Association catholique de la jeunesse française où il se lie à des hommes dont il va longtemps partager les convictions et l’itinéraire — François de Menthon, Pierre-Henri Teitgen, René Pleven, Robert Schuman [2]. Au début des années 1930, il devient l’éditorialiste du quotidien L’Aube, de Francisque Gay. Petite diffusion et survie précaire, mais le journal est la tribune d’un courant politique à la fois proche de l’Église et de courants réformateurs, il représente une voix qui peut se faire entendre. Bidault s’élève contre la passivité des démocraties face aux appétits de l’Italie et de l’Allemagne ; il prend partie pour les républicains contre les nationalistes en Espagne.
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Son journal emploie les services de la même imprimerie, rue Montmartre, que les organes d’autres partis, y compris L’Humanité. Et c’est là que se nouent d’autres liens, de ces camaraderies sans doute peu durables, qui facilitent les échanges au cours d’une carrière politique. Georges Bidault ressemble alors davantage à un journaliste qu’à un fonctionnaire. Horaires fantaisistes, tenue négligée, mangeant peu et n’importe quoi. La bohème [3].
Successeur de Jean Moulin
La guerre survient. Bidault est mobilisé, fait prisonnier en juin 1940, libéré un an plus tard. Il rejoint Combat et devient le bras droit de Jean Moulin, passe bientôt dans la clandestinité. C’est lui qui rédige cette motion essentielle du Conseil de la Résistance qui, en mai 1943, reconnaît de Gaulle comme « l’âme de la résistance aux jours les plus sombres » et lui apporte la légitimité qu’il ne possédait pas en métropole. Moulin disparaît le mois suivant et Bidault lui succède à la tête du Conseil.
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Alors que le rôle de Jean Moulin a suscité des milliers de pages, celui de son successeur, en une période aussi longue et pas moins périlleuse, est toujours vite expédié et l’on ne comprend pas comment le « dilettante » sans discipline des années 1930 a pu assurer un pareil héritage sans y laisser sa peau, ni mettre en péril celle de ses camarades. L’anti-conformiste paresseux s’est révélé plus solide, ordonné et courageux qu’il n’y paraissait.
Un pilier de la IVe République
Depuis son retour de captivité, Bidault n’a pas quitté le territoire national. En août 1944, il découvre de Gaulle, qui ne partage pas les lauriers de la victoire mais le nomme ministre des Affaires étrangères. « Comme le rappelle Jean Chauvel, ‘mon ministre, sorti des caves de la Résistance, était encore effaré de la lumière du jour… Rien ne le préparait à cet emploi [4] » Peut-être a-t-il été désigné à cause de son inexpérience ; la politique étrangère relève déjà du domaine réservé du président, il n’y veut pas de concurrent. Mais de Gaulle s’en va en janvier 1946 et Bidault devient enfin maître de la place.
On le découvre « habile négociateur [5]». Maurice Vaïsse, qui porte ce jugement, lui accorde la première place parmi les hommes qui ont fait la politique extérieure de la France, plus pour la longévité de ses fonctions que pour l’inflexion qu’il leur aurait imprimée. En ces premières années d’après-guerre, sa tâche est…
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[1] Une hagiographie par Barthélémy Ott (imprimerie du Vivarais, 1975), une biographie par Jean-Claude Demory (Julliard, 1995), une recherche consacrée à son rôle dans la politique extérieure de la France par Jean-Rémy Bézias (L’Harmattan, 2006), les souvenirs de Suzanne Bidault (Ouest-France, 1987), une thèse de Jacques Dalloz (Biographie politique, L’Harmattan, 1993), et des articles de Maurice Vaïsse et de Georges-Henri Soutou.
[2] Yves-Marie Hilaire, « L’Association catholique de la Jeunesse française : les étapes d’une histoire (1886-1956) », Revue du Nord, 1984, n°s 261-262, pp. 903-916.
[3] Ce qui permet des descriptions cocasses : « Il grignotait à tout moment de la journée des radis noirs — son met favori —, des cornichons, des fromages de chèvre secs, des cacahuètes salées ainsi que des fraises à la bonne saison… » (p. 143).
[4] M. Vaïsse, « Georges Bidault », Politique étrangère, vol. 51, n° 1, 1986, p. 79.
[5] Ibid., p. 78.
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