Notre collaboratrice, lasse de corriger des copies évoquant la « crétianisation des Romains » et les « constitadors » espagnols, a voulu s’intellectualiser les neurones devant les derniers monster trucks de George Miller. Alors, ce Furiosa : une saga Mad Max, de quoi se divertir ?
Mad Max : Fury road avait véhiculé son lot d’histoires… Des étincelles entre Charlize Theron — l’imperator Furiosa — et Tom Hardy — Max Rockatansky — auquel l’Australienne faisait une queue de poisson, aux récents démêlés entre George Miller et Christofer Sundberg (responsable de l’adaptation de l’univers en jeu-vidéo), l’univers post-apocalyptique de la Désolation a fait couler pas mal d’encre et le Furiosa : une saga Mad Max était attendu au tournant.
Alors simplifions : Furiosa n’est pas une révision de Fury Road. Oui, ça ne parle pas beaucoup. Mais il y a un scénario. Il y en a même plusieurs, parce que Miller, octogénaire à « la tête blanche et la queue verte », comme disait Bassompierre, n’a plus de temps à perdre pour les livrer prémâchés et simplifiés à un spectateur dont le carbu neuronique bulle. Il y a du western — la vengeance d’une fillette. Il y a de l’épopée — les courses de char à la Ben Hur. Il y a même de la love story — la walkyrie Brunehilde a couché avec un homme… Damned !
Anya Taylor-Joy ne déçoit pas, Chris Hemsworth génial
Furiosa est plus composite qu’un moteur Tesla : c’est un petit bijou, ça brille de chrome et d’or désertique. Et si le slogan « one man, one bullet » de Fury Road est appliqué à la lettre, Furiosa s’en distingue par son sens. C’est sans doute un film qui fait boum boum, un objet kinétoscopique, comme dit justement Libé, mais c’est aussi un film qui pense.
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Alors rassurons tout le monde : oui, Anya Taylor-Joy, tête rasée et huile de moteur sur le front est tout aussi sexy que sa devancière. L’origine de la prothèse de Furiosa — question à 168 millions de dollars tout de même — est à la hauteur de l’attente. Mais si personne ne doutait du talent d’Anya Taylor-Joy, c’est la performance d’un autre acteur qu’il faut saluer : celle de Chris Hemsworth.
Dans la série « les stars ont-elles de l’humour ? », le visage du Thor de Marvel est méconnaissable. Modèle parmi les bodybuildés hyper-testostéronés, sa performance dans le rôle de Dementus, grand méchant de cette histoire de 2h28 minutes légitime son étoile sur le Hollywood Boulevard du 23 mai. Et 2h28 avec un ours en peluche épinglé sur la quéquette — pas pratique pour régner sur l’univers de la motosphère —, il faut les assumer. Plus Dementus se durcit dans l’horreur, plus le doudou est malmené et c’est avec un bras de Barbie roussi que le pauvre nounours finit…
La mythologie de demain
Car Miller ne déconstruit pas seulement le mâle blond à la cape flamboyante ni le doudou de vos angelots. Il fusionne des signifiants mythiques, les connecte les uns aux autres, comme les cornes teutoniques sur des réservoirs d’Ironhorse, pour forger une mythologie 2.0. Celle du pétrole épuisé et de la terre désolée. Celle de demain.
Accepter la furie créatrice et vrombissante de l’octogénaire, enfourcher les bécanes augmentées de Dementus, ou plonger dans le vide avec les War Boys d’Immortan Joe, c’est abandonner les mots à la mode : le féminisme, l’écologisme… écrasés sous la surconsommation qui en est faite pour revenir à ce qui fait ciment : la culture commune, la forme plus que le fond. C’est un tableau de Waterhouse, Hylas et les Nymphes, qu’on reproduit en cachette à Pétroville, ce sont les cercles de l’enfer du Moulin à balles, c’est le géant nordique Ymir qu’on utilise comme terreau, ou encore un arbre des Désastres de la guerre que Goya n’aurait pas cru australiens.
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Car Dementus, celui à qui l’on doit l’amputation de la ravissante Furiosa souffre de la maladie la plus universelle : l’ennui. Il est un roi sans divertissement, aurait dit Giono. « Je m’ennuie » dit-il quand la Désolation ne laisse plus place qu’à « l’horreur, l’horreur » — celle de Brando dans Apocalypse now. Sur le parcours du dément, il n’y a que la lassitude des aigles de sang des sagas nordiques, et seul le boudin de fillette rassasie.
Rien de nouveau sur le bitume de l’outback, et pour se divertir, il n’y a plus que l’Homme-Histoire, ce vieillard à la peau de parchemin qui récite la définition de « larme » : « sécrétion salée de joie ou de tristesse ». Miller égrène, pour notre plus grand bonheur et film après film, des gammes un peu plus amères dans un cinéma qui, à Cannes et ailleurs, sacrifie la beauté à l’idée et se vautre dans les problématiques sociales.
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