Selon Geoffroy de Lagasnerie, il n’existe pas de pensée de droite. Pendant ce temps, Raphaël Enthoven provoque un petit scandale en affirmant qu’il voterait Marine Le Pen en cas de second tour l’opposant à Jean-Luc Mélenchon.
Sous prétexte que le mot « intellectuel » fut à l’origine une injure adressée par les anti-dreyfusard à Zola et à ses amis, la gauche française, depuis cette époque, s’est annexé le terme. Qu’il y ait eu des intellectuels à droite, et fameux — aucune diatribe anti-franquiste n’arrive à la cheville des Grands cimetières sous la lune, pamphlet terrible de Georges Bernanos, catholique fervent —, que le Bloc-notes de François Mauriac soit un recueil splendide de vacheries et d’analyses de haute volée, que Sartre ait conservé des liens d’amitié avec Raymond Aron (Beauvoir et lui n’estimaient que ceux qui étaient à leur niveau, et il n’y avait pas grand-monde), tout cela importe peu aux nouveaux intellos auto-proclamés de la gauche décomposée.
Prenez Geoffroy de Lagasnerie, diplômé en Sciences Economiques et Sociales — ce qui en aucun cas ne l’autorise à se dire philosophe, alors que Pierre Bourdieu, agrégée de Philo, a su se construire une réputation de sociologue : mais voilà, les héritiers sont rarement à la hauteur des grands ancêtres.
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Cet aimable garçon a été habilité à diriger des recherches sans aucun des titres qui ordinairement accompagnent cette distinction. Il dirige chez Fayard une collection dans laquelle il n’édite rigoureusement que les copains ou des « philosophes » médiatiques. Ses livres, écrits très rapidement, font le bonheur des journalistes de Libé et rarement au-delà. Il a appelé au boycott, en 2014, des Rendez-vous de l’Histoire à Blois sous prétexte que devait y parler Marcel Gauchet, exemple-type selon lui de ces intellectuels réactionnaires qu’il vomit puisqu’ils ne sont pas lui.
Qu’importe que Gauchet ait dans son petit doigt plus d’intelligence que Lagasnerie dans toute sa longue personne. Notre sémillant jeune homme a réédité ses anathèmes en 2017 avec la sociologue Nathalie Heinich, diffusant contre elle une pétition soutenue par les copains, et par Louis-Georges Tin, directeur du CRAN, Conseil Représentatif des Associations Noires, un organisme pas du tout raciste.
Cet aimable chenapan vient de décider qu’« il ne peut y avoir de pensée de droite », « car si vous regardez la société, si vous vous mettez simplement à l’étudier, vous voyez nécessairement des phénomènes qui vont devoir être pensés comme de domination : des migrants qui se noient, des groupes capitalistes, le féminicide, des femmes battues, l’homophobie, la surreprésentation manifeste des Noirs et des Arabes dans l’appareil carcéral. »
En une seule phrase, liste complète des thèmes à la mode qui permettent d’être célébré par le Monde, Libé et le New York Times, médias du Bien, et ignoré de 65 millions de Français. Geoffroy de Lagasnerie est une toute petite grenouille dans le marigot de la gauche intersectionnelle, et il saute pour se faire remarquer. « Coâh », coasse-t-il — « hi-han » répond l’écho.
« Intellectuel de gauche » est devenu, au fil des ans, un oxymore — une contradiction dans les termes. C’est ce que vient de remarquer enfin Raphaël Enthoven, qui a le privilège d’être beau, lui, et pense au moins par intermittences. Imaginant l’hypothèse improbable d’un second tour à la Présidentielle entre Mélenchon et Le Pen, il a écrit : « J’irai à 19h59 voter pour Marine Le Pen en me disant, sans trop y croire, « plutôt Trump que Chavez ». »
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Tollé à gauche — mais les clameurs de dix ânes ne font pas un raisonnement. Mélenchon s’est discrédité à tout jamais avec une application maniaque, depuis quelques mois, en se mettant à la remorque d’un islamisme décomplexé. Et son affirmation récente sur le fait qu’un attentat viendra providentiellement, l’année prochaine, renforcer les sentiments anti-musulmans juste avant l’élection n’est que la touche finale d’un long cortège d’ignominies.
Je reprocherai à la rigueur à Enthoven d’avoir évoqué Chavez, qui fuit tout de même pendant longtemps l’idole de ce « peuple de bronze » que constituent, au Vénézuela, les pauvres parmi les pauvres, descendants d’Indiens et autres oubliés de la manne pétrolière. Non, la vraie analogie, c’est Pol Pot, et tous ces dirigeants qui ont fait passer l’idéologie — ce domaine de la pensée qui n’a rien à voir avec le réel, disait Hannah Arendt — avant la rationalité.
Je n’en déduis pas que la droite croule sous les intellectuels de qualité, ni que les états-majors de RN ou de LR sont peuplés de plus grandes intelligences que les directions du PS ou d’EELV — LFI étant désormais hors concours. Il ne suffit pas d’écrire ou de proférer des opinions pour qu’elles aient un poids réel dans l’histoire de la pensée. Les vrais intellectuels sont peu nombreux. Il y en a d’ailleurs eu à droite et à gauche — et même ailleurs. Mais je sais que notre ami Effroi de l’Ânerie n’en est pas un : c’est un histrion médiatique qui disparaîtra comme il est venu, et plus vite encore, si jamais le peuple, qui l’ignore, décidait un jour de s’occuper de lui. Mais sans doute à cette idée frétille-t-il déjà.